Quand les boeufs parlent le soir de Noël…

Il existe, en France surtout, une croyance populaire dont les formes varient suivant les différentes contrées : c’est la conversation des animaux entre eux pendant la Messe de minuit et surtout pendant la lecture ou le chant de la Généalogie.
C’est sans doute une réminiscence de la représentation de l’ancien ” Mystère de la Nativité “, pendant laquelle l’on faisait parler les animaux.
Cette croyance si répandue, avec de nombreuses variantes, peut se résumer ainsi : un paysan, probablement ivre, ayant omis d’offrir à son bétail le réveillon traditionnel, entend ce dialogue entre les deux grands bœufs de son étable :
Premier bœuf : ” Que ferons-nous demain, compère”?
Second bœuf : ” Porterons notre maître en terre… ”
Le maître, furieux, en entendant cette prédiction, saisit une fourche pour frapper le prophète de malheur ; mais, dans sa précipitation, il se blesse maladroitement lui-même à la tête… et le lendemain les bœufs le portent en terre.
Tel est le thème développé différemment suivant les provinces.

Dans les Vosges, à la Bresse, canton de Saulxures-sur-Moselotte, on a soin de donner abondamment à manger aux animaux avant d’aller à la Messe de minuit. A Comimont, au Val-d’Ajol, on croit encore que les animaux se lèvent et conversent ensemble pendant la Messe de minuit. On raconte à ce sujet qu’un habitant de Cornimont, jouissant de la réputation d’esprit fort, voulut s’assurer de ce fait surnaturel. 11 alla se coucher dans un coin obscur de l’écurie située derrière sa maison.
A l’heure de minuit, il vit un de ses bœufs se réveiller, puis se lever pesamment et demander, en bâillant, à son compagnon de fatigue, ce qu’ils feraient tous deux le lendemain. Celui-ci lui répondit qu’ils conduiraient leur maître au cimetière. La chose ne manqua pas d’arriver, dit la tradition : notre esprit fort fut saisi d’une telle frayeur qu’il en tomba raide mort sur place. Ainsi, sans doute, le racontèrent les bœufs.

On assure aussi qu’une semblable aventure arriva à une femme de Raon-aux-Bois, canton de Remiremont. Poussée par la curiosité, elle alla visiter ses étables pendant la Messe de minuit. Elle apprit également de ses bœufs qu’ils ne tarderaient pas à la conduire en terre (Traditions populaires, par Richard. Remiremont, 4818). La nuit de Noël est célèbre par une vieille légende que les paysans landais racontent avec terreur, pendant les veillées d’hiver.
Ils prétendent que le jour de Noël, vers minuit, l’âne et le bœuf se mettent à parler entre eux. Ils causent du temps où l’Enfant-Jésus n’avait pour se réchauffer que leur haleine. Ce don miraculeux de la parole est le cadeau envoyé tous les ans par le Ciel à ces deux animaux, en souvenir des bons offices rendus à l’Enfant-Jésus dans l’étable de Bethléem. Mais malheur à celui qui tente de surprendre leur mystérieuse conversation.
Sa témérité est punie d’une manière terrible : il tombe mort à l’instant même (Le Petit Landais, 25 décembre 1902).
Un bon paysan de Gaillères l’éprouva à ses dépens. Pour se convaincre de la vérité du fait, il vint écouter à l’étable, et voilà qu’à minuit juste, le bœuf dit à son voisin :
” Hoù Bouêt ? – Hoù Bortin.
– Que haram-nous, douman matin ?
– Que pourteram lou boue ou clôt. E lou boue que mouri sou cop ” (Sorcières et loups-garous dans les Landes, p. 39).
Voici comment Laisnel de Lasalle a gracieusement brodé cette légende : la scène se passe en Berry (Croyances et légendes, tom. I, p. 17).
” On assure qu’au moment où le prêtre élève l’hostie pendant la Messe de minuit, toutes les aumailles (bêtes à cornes) de la paroisse s’agenouillent et prient devant îa Crèche. On assure encore qu’après cette oraison toute mentale, s’il existe dans une étable deux bœufs qui sont frères, il leur arrive infailliblement de prendre la parole.
” On raconte qu’un boiron (On appelle boiron le jeune g-areon qui touche on aiguillonne les bœufs pendant le labourage. – On dit aussi boyer pour bouvier – en italien, boaro) qui, dans ce moment solennel, se trouvait couché près de ses bœufs, entendit le dialogue suivant :
” – Que ferons-nous demain ? demanda tout à coup le plus jeune du troupeau.
” – Nous porterons notre maître en terre, répondit d’une voix lugubre un vieux bœuf à la robe noire, et tu ne ferais pas mal, François, continua l’honnête animal en arrêtant ses grands yeux sur le boiron qui ne dormait pas, tu ne ferais pas mal d’aller l’en prévenir, afin qu’il s’occupe des affaires de son salut.
” Le boiron, moins surpris d’entendre parler ses bêtes qu’effrayé du sens de leurs paroles, quitte l’étable en toute hâte et se rend auprès du chef de la ferme pour lui faire part de la prédiction.
” Celui-ci se trouvait attablé avec trois ou quatre francs garnements de son voisinage et, sous prétexte de faire le réveillon, présidait à une monstrueuse orgie, tandis que la cosse de Nau (bûche de Noël) flamboyait dans l’âtre et que sa femme et ses enfants étaient encore à l’église.
” Le fermier fut frappé de l’air effaré de François à. son arrivée dans la salle.
– Eh bien? Qu’y a-t-il? lui demanda-t-il brusquement.
” – Il y a que les bœufs ont parlé, répondit le boiron consterné.
” – Et qu’ont-ils chanté ? reprit le maître.
” – Ils ont chanté qu’ils vous porteraient demain en terre ; c’est le vieux Noiraud qui l’a dit, et il m’a même envoyé vous en avertir, afin que vous ayez le temps de vous mettre en état de grâce.
” – Le vieux Noiraud en a menti, et je vais lui donner une correction, s’écria le fermier, le visage empourpré par le vin et la colère.
Et, sautant sur une fourche de fer, il s’élance hors de la maison et se dirige vers les étables. Mais il est à peine arrivé au milieu de la cour qu’on le voit chanceler, étendre les bras et tomber à la renverse.
Etait-ce l’effet de l’ivresse, de la colère ou de la frayeur ?
Nul ne le sait.
Toujours est-il que ses amis, accourus pour le secourir, ne relevèrent qu’un cadavre et que la prédiction du vieux Noiraud se trouva accomplie.
Depuis cette aventure, que l’on dit fort ancienne, les bœufs ont toujours continué à prendre, une fois l’an, la parole ; mais personne n’a plus cherché à surprendre le secret de leur conversation. “

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