Le film d’animation Il Giro Del Mondo Degli Innamorati di Peynet adaptait à l’écran les célèbres amoureux de Raymond Peynet (1908-1999). Vingt ans plus tôt, ceux-ci avaient déjà fait le tour du monde dans l’ouvrage éponyme Le tour du monde des amoureux de Peynet (1954, V. de Valence / La Société Nouvelle). Quelques années auparavant encore, dès la naissance de leur idylle en 1942, le tour du monde s’offrait à eux, mais cela de par leur célébrité qui se propagea rapidement.
Cette production cinématographique fut réalisée par Cesare Perfetto (1919-2005, journaliste, dessinateur, et caricaturiste italien) dont ce fut l’unique œuvre sur grand écran. Raymond Peynet participa quelque peu à son élaboration : il rencontra en 1970 l’auteur du script – Bruno Paolinelli (1923-1991, cinéaste, scénariste et producteur) – pour réfléchir à la mise en œuvre du projet. La post-production fut lancée peu après, pour se terminer en 1974, avec une sortie en salle en juin de la même année. La conception du scénario riche en références géographiques et historiques, de même qu’en quelques critiques sociales et politiques, fut le fruit de Cesare Perfetto et Bruno Paolinelli. Du coté pictural, les dessins furent conçus par des artistes italiens dont parmi eux, Manfredo Manfredi qui dirigera l’ensemble de l’animation, Silvio Severi qui fera de même sur la création des décors, ou encore les animateurs Gianni Giakoumatos et Gabriella Poli animant les deux amoureux. A propos du dessin même, et plus particulièrement du character design des personnages principaux, si Valentin n’a que peu changé, Valentine portera une robe dès plus courte, faisant de ce personnage une jeune femme suivant la mode de l’époque. Le métrage, qui dans ses messages et sa manière de les étaler s’inspirait quelque peu du surréalisme du Yellow Submarine de George Dunning, conservera aussi une part du symbolisme poétique dont usait Raymond Peynet dans ses œuvres.
Quant à la musique, élément primordial pour accompagner le romantisme de cette histoire, elle fut composée par le monumental Ennio Morricone et un de ses fidèles collaborateurs – et ami d’enfance – Alessandro Alessandroni. Ce dernier est surtout connu pour avoir été siffleur sur les bandes originales des films westerniens de Sergio Leone composées par Morricone. Le thème principal de cette partition Forse Basta – et ses sept variations – rappelait quelques impressions éprouvées à l’écoute des thèmes romantiques et nostalgiques de la bande originale d’Il était une fois la révolution (1971). La chanson A Flower’s All You Need qui figure également dans cette partition, et reprend la portée musicale de Forse Basta, était interprétée par Demis Roussos, ex-Aphrodite’s Child. Deux ans plus tôt, ce dernier prêtait sa voix au Peintre des étoiles dans un générique pour deux autres amoureux, ceux du feuilleton télévisé français Le jeune Fabre (pour mémoire, les jeunes tourtereaux étaient interprétés par Mehdi El Glaoui, célèbre depuis sa plus tendre enfance, et Véronique Jannot alors débutante, cela avec le grand Jean-Roger Caussimon en peintre des étoiles). Chose assez surprenante, ou du moins qui peut surprendre dans un premier temps, un an après la sortie d’Il Giro Del Mondo Degli Innamorati Di Peynet, la chanson A Flower’s All You Need, avec la même interprétation, était présente comme générique d’ouverture d’un long-métrage bien différent, à savoir le rape and revenge (film de genre horrifique) L’ultimo treno della note (Night Train Murders) dont la bande musicale était entièrement le fait de Morricone. Ce film d’Aldo Lado, s’inspirant de La dernière maison sur la gauche de Wes Craven, est aussi connu sous divers titres français comme La bête tue de sang froid ou encore Le dernier train de la nuit. La présence de cette chanson, en un tel film mettant en scène viol et meurtre, peut s’expliquer par le fait que l’histoire se déroule pendant les festivités de Noël, dont on nous montre l’atmosphère pendant le générique, mettant ainsi le spectateur dans une douce ambiance, avant que ne débutent les atrocités. Comme il le fit à quelques reprises pour quelques unes de ses compositions, Ennio Morricone réutilisera encore ce thème musical dans d’autres de ses travaux, notamment en 1986 pour La vénitienne de Mauro Bolognini, ses légères envolées convenant agréablement à la forme de celui-ci, ainsi qu’à celles de ses protagonistes. Dans ce film léger à l’érotisme satinée, le jeune amoureux était interprété par Jason Connery, acteur justement évoqué en nos pages pour son interprétation du nouveau capitaine du Nautilus dans le Nemo d’Arnaud Sélignac.
Si le long-métrage des amoureux de Peynet semble oublié en France, ainsi qu’en Italie (hormis la disponibilité de la bande originale), il n’en est rien au Japon, une édition DVD éditée depuis 2001 lui ayant permis de revivre à nouveau sur l’Archipel, ses habitants appréciant beaucoup cette image idyllique de l’amour. A cet égard, depuis son adoption en 1958, la Saint-Valentin est célébrée en cet état. On se doit également de souligner que le Japon est, avec la France, le seul pays ayant créé deux musées consacrés à Raymond Peynet (à Karuizawa et Sakuto-Cho devenu Mimasaka). De même, depuis 1989, le mémorial d’Hiroshima expose une statue de bronze à l’effigie des deux amoureux, symbole également de paix en ce lieu. On peut y lire, en français, sur la plaque ornant le socle : Amour, Paix et Bonheur, c’est le souhait des Amoureux de PEYNET. Que ces Amoureux apportent le bonheur et la paix dans tous les cœurs des citoyens de HIROSHIMA.
Résumé des différentes étapes de ce tour du monde, dont celle présentant le capitaine Nemo
Ce long-métrage nous propose ainsi de suivre l’un des couples les plus célèbres d’alors, Valentin et Valentine qui, à l’instar de Phileas Fog, mais dans un contexte non limité par le temps, et même en dehors de celui-ci – tout en faisant parfois référence à des faits d’actualités – partaient à la découverte des contrées du globe, passant de l’une à l’autre comme dans un rêve. Pour cela, après avoir rendu une visite éthérée au Paradis et passé les portes du Club des Amoureux, ils bénéficieront du passeport de l’amour qui n’a que faire des frontières (depuis, ce Love Passport est devenu un parfum…).
Leur périple commence avec la traversée du désert de Judée où quelque peu perdus, ils rencontrent les Rois Mages. Ces derniers se dirigent vers Bethlehem pour saluer la venue de l’enfant Jésus, et ils leur permettent de les y accompagner. Le trio royal offrant quantité de présent pour Marie, Joseph et leur fils, Valentine fera de même avec une fleur. Puis le couple poursuit son chemin dans une automobile – une Rolls-Royce d’un modèle des années 30 – offerte par les anges, à la demande du divine enfant. Quelques kilomètres plus loin, ils observent les éclats d’un conflit et arrivent en Grèce, non sans quelques appréhensions à la vue du garde-frontière. Le pays était alors sous la dictature des colonels (celle-ci prit fin quand la conception du film était quasiment achevé). Un des gardes remplace alors la colombe de la paix, ornant l’automobile de nos deux tourtereaux, par un général de plomb. Même les choses anodines comme une glace rafraichissante sont à l’effigie des colonels. S’en suivra au Parthénon, une danse des militaires – ce sont semble-t-il tous des clones de Georgios Papadopoulos -, danse évoquant le sitarki de Zorba le grec, et dans une ambiance apocalyptique, l’automobile où venait de s’engouffrer tous les généraux, celle qui avait conduit les amoureux jusqu’ici, partira en fumée… Puis, quelques images plus loin, ils participent à quelques festivités tyroliennes où la bière coule à flot… et se promenant en bicyclette dans la direction des Pays-Bas, ils aperçoivent sur le fond d’un ciel orageux, le tableau de Rembrandt La leçon d’anatomie du docteur Tulp, l’horizon cachant toutefois le sujet étudié. Peu après, ils arrivent en Belgique où ils viennent en aide au petit Manneken-Pis, en lui offrant une bière, celui-ci étant alors dans l’impossibilité d’œuvrer à sa fonction première.
Le couple s’accorde ensuite quelques pas de danse sur un lac gelé, décor que l’on découvre avec en ouverture la reproduction du tableau Les chasseurs dans la neige de Pieter Bruegel l’ancien. Cette toile mettait en arrière plan des personnages s’adonnant déjà à l’époque au loisir de la glisse. Mais la patinoire ayant fondu, Valentin et Valentine se retrouvent au milieu d’une étendue d’eau, seuls sur un morceau de glace qui finit lentement par disparaître. Commençant à couler, ils remontent presque aussitôt au dessus des flots, un submersible dont on peut lire le nom – le Nautilus – ayant fait surface sous leurs pieds (l’inscription nominative du bâtiment est située au même endroit que celle que l’on aperçoit dans le film Le dirigeable volé de Karel Zeman). Le capitaine Nemo, après une courte observation des lieux, s’extrait de l’ouverture du Massif pour les saluer et les inviter à bord. Le personnage de Jules Verne est ici vêtu d’un costume d’Amiral, tels ceux du Second Empire, avec un couvre-chef d’un aspect plus récent. Au travers d’une verrière, le spectacle sous-marin s’offre alors aux amoureux. Ils aperçoivent notamment parmi quelques vestiges, l’épave du Bounty (celle-ci se situant dans les eaux de l’île de Pitcairn, dans le Pacifique), le Roi Neptune sortant joyeusement du ”Bounty Club” (écho au King Neptune des Silly Symphonies de Walt Disney), ainsi que quelques sirènes ici et là, et bien évidemment les beautés de la faune et de la flore. Dans ce voyage sous-marin, on plonge dans un univers poétique, sans géographie, le Bounty apparaissant quelques instants après que le Nautilus est accueillit Valentin et Valentine, ceux-ci se trouvant alors en Europe. S’il en est de même pour quelques autres passages, d’une étape à une autre, donnant sur quelques raccourcis cartographiques, on remarquera toutefois que dans l’ensemble, une certaine cohésion géographique s’y dessine.
Le choix d’inclure le personnage de Jules Verne dans ce film, tout comme les autres figurant qu’ils soient historiques ou issus d’univers fictifs, ne tenait pas d’une raison particulière, si ce n’est que ces protagonistes, de même que l’ensemble des traditions observées étant volontairement stéréotypées, devaient être facilement reconnaissables par les spectateurs du monde entier. De ce fait, le capitaine Nemo, tout comme le personnage suivant, était parmi quelques autres choix, dès plus représentatifs dans leur catégorie.
Mais il est temps déjà pour le capitaine Nemo de déposer le couple à terre. Valentin et Valentine débarquent ainsi en Espagne où ils seront témoins d’un combat entre Don Quichotte et des moulins… et participent peu après à l’évasion de prison du héros de Cervantes. Suivra quelques dangers avec des taureaux, dont un qui poursuivra nos deux amoureux. Valentine calmera l’animal en lui offrant tout simplement une fleur. Puis changement de décors avec la Suisse, et de héros, Guillaume Tell apparaissant à l’écran. Quelques scènes plus loin, ils traversent le tournage d’un film dirigé par Federico Fellini (l’illustre réalisateur était un ami de Peynet). Près du Colisée de Rome, ils viennent en aide à l’un des deux enfants, tombé de son piédestal, à remonter près de sa mère louve. Il s’agit bien évidemment de la statue représentant Romulus et Remus allaités par l’animal qui les adopta. Ils s’inviteront ensuite, à Florence, au mariage de David de Michelangelo épousant la Vénus de Botticelli, tous deux dans le plus simple appareil comme à leur habitude. Ce nouveau couple convolera dans une aile volante créée par Leonardo da Vinci, vol qui sera tout de même de très courte durée, l’invention du peintre n’étant pas encore au point.
Bien évidemment, ils ne pouvaient pas quitter l’Italie sans passer par Venise et s’offrir une petite balade en gondole. Se perdant dans leur rêverie, ils se retrouvent encore en Italie, à Naples, où ils dégustent des spaghettis dans un restaurant, cette image rappelant la fameuse scène de La Belle et le Clochard de Walt Disney. On assiste ensuite à la colère du Vésuve. Enfin, quelques paroles de San Francesco d’Assisi concluront le premier temps de ce long-métrage, Valentin et Valentine sous sa bénédiction empruntant l’avion de l’amour – Air Love – pour atterrir dans le second (cet avion est formé symboliquement par des colombes, et en prend ainsi la forme, l’oiseau emblématique de la paix étant présent dans de nombreuses illustrations de Peynet).
Ils arrivent donc par les airs, dans une Angleterre recouverte par le smog. A cause de celui-ci Valentine perd de vue son Valentin, mais finit par le retrouver à Buckingham Palace. En ce lieu, ils rencontrent la Reine Elizabeth II (en 1957, lors de sa venue en France du 8 au 11 avril, celle-ci reçu en cadeau, pour sa fille, les célèbres poupées à l’effigie des amoureux) accompagnée de son époux, le Prince Philip, duc d’Edimbourg. Lors de la soirée dansante qui a lieu au palais, ils font la connaissance de la reine Victoria, et assistent à un concert de rock de Beatles psychédéliques. Parmi quelques autres personnalités invitées à cette fête, on soulignera la présence de William Shakespeare et Winston Churchill. S’en suivra un petit tour à Copenhague, dans un parc d’attraction où ils empruntent la montgolfière d’un manège pour continuer leur voyage. Ils survolent alors la Laponie, puis le Pôle Nord géographique occupé par quelques petits pingouins.
Ils arrivent ensuite au Pays du Soleil Levant, au moment où celui-ci se lève justement et croise leur vol, faisant disparaître le ballon qui les soulevait. De petits anges japonais munis d’ombrelles viennent alors les secourir. Les premières scènes où ils se promènent en ce nouveau pays qu’ils visitent vêtus de kimonos, évoque une image du Japon traditionnel et idyllique, les décors ayant une sensibilité graphiquement proches des estampes. On apercevra un peu plus loin le Fuji-Yama, le volcan emblématique de l’Archipel, et diverses images soulignant entre autre une certaine omniprésence de la télévision proche de l’obsession, tout cela se fondant dans l’électrique forêt des néons et des écrans, et sous couvert de quelques notes musicales émises au travers de l’image du shamisen. De musiques, il y en aura également à l’étape suivante dans les Amériques, celles latino-américaines du Brésil aux Andes, ainsi que les chants gospels du Mississippi, et le jazz de la Nouvelle-Orléans. Là encore certains excès seront soulignés comme la circulation intensive motorisée envahissant les routes des Etats-Unis, de même qu’une certaine déshumanisation face à certains aspects des grandes métropoles. Le couple y aperçoit notamment le général Custer du 7ème de cavalerie, Doc Holliday, ainsi que des Indiens saluant le drapeau américain. Une visite à la Maison Blanche, à Washington, montrera le président Richard Nixon téléphonant au premier ministre soviétique Alexeï Nikolaïevitch Kossyguine, Mao venant ensuite se mêler à la conversation. Puis, après une vue sur la Grande Muraille de Chine et un match de ping-pong, Valentin et Valentine foulent la Place Rouge de Moscou, visitent le Théâtre Bolchoï avec les chœurs de l’Armée rouge, pour enfin se retrouver dans le métro de Paris, à la station Stalingrad…
Dans cette traversée parisienne, on remarquera sur un mur, une affiche de Georges Brassens, l’illustre artiste ayant été inspiré par le jeune couple pour ses amoureux qui se bécotent sur les bancs publics. Ils rencontrent ensuite Toulouse-Lautrec qui leur montre ses oeuvres. Puis, dans leur balade en barque sur la Seine, ils aperçoivent, quoique statut, un Henri IV encore Vert-Galant, la Cathédrale Notre-Dame de Paris, ainsi que Mona Lisa assise justement sur un banc public, et accosté par un personnage pouvant évoquer Archimède le clochard… Ils sont également témoins d’une manifestation faisant référence à celles de mai 68, des CRS ayant leur devise – je cogne – inscrite sur leur bouclier. Enfin, des fleurs, jetées d’un avion nous montrant une vue de Paris ornée de sa Tour Eiffel, viendront apporter la paix entre les représentants de l’ordre et la population. Paris devient même un jardin verdoyant, une vision idyllique de l’amour et de la paix comme l’évoquait alors le mouvement de l’époque, et dont la longueur du métrage est imprégnée, le Flower Power. Un baiser entre Valentin et Valentine conclura en beauté cette aventure autour du monde.
Bien qu’étant dans une certaine mesure une oeuvre faite de quelques élans de naïveté, que ces amoureux étaient la personnification même de l’amour, et qu’ils représentaient la tendresse de la vie, ce film d’animation proposait également de mettre en opposition cet univers idyllique et romantique du jeune couple face à certains aspects sombres de l’existence. Le générique d’ouverture est en ce sens fortement marqué par les malheurs du monde, ceux-ci y étant exposés sous formes d’images réelles projetées en négatif, où les amoureux de Peynet – nés pendant la guerre – y apparaissant en bas d’images, représentent face à cela une petite lumière toujours en mouvement…
Parmi ses nombreux travaux dans les arts graphiques, Raymond Peynet fut également décorateur au théâtre. Il travailla notamment sur les premières pièces de la Compagnie Grenier-Hussenot, telles La Parade d’après Paul Verlaine et Jules Laforgue, et Orion le Tueur de Maurice Fombeure – pièces qui verront les débuts des Frères Jacques costumés par Jean-Denis Malclès. Ces oeuvres furent mises en scène par Jean-Pierre Grenier, qui dix ans plus tard fera de même avec le Nemo d’Alexandre Rivemale, celui-ci parodiant l’univers submersible créé par Jules Verne.
Bien que ce métrage ait été réalisé pendant la Guerre du Vietnam, il ne fera pas mention explicitement de cette dernière, et l’Asie du sud-est, de même que l’Afrique, n’y sera pas représentée. Toutefois, même si les premières images du film ne dénoncent aucun conflit contemporain en particulier, elles soulignent tout de même un certain état du monde – notamment sous la forme d’une explosion atomique qui peut être passée ou à venir -, dans un temps qui est aussi celui du long-métrage.