Le Pape François vient d’ouvrir la porte sainte de la miséricorde, le 8 décembre dernier. Il avait déjà accompli ce geste quelques jours auparavant à Bangui, anticipant ainsi pour l’Afrique l’année jubilaire. Par ce geste simple mais très symbolique, le Pape entend rappeler à toute l’Église le primat de la grâce, comme l’illustre l’évangile de l’Annonciation. La doctrine catholique sur la grâce est, comme on le sait, à l’opposé tout à la fois du pélagianisme qui la nie et du jansénisme qui la limite.
Marie est le fruit parfait de la grâce. Non seulement elle n’a pas connu le péché actuel, mais encore elle a été préservée du péché originel. Il s’agit là d’un dogme de foi depuis la définition du bienheureux Pie IX. Ce dogme fut le fruit d’une longue maturation en raison de la difficulté à comprendre comment Marie avait pu être à la fois rachetée et exempte du péché originel. La solution fut de dire qu’elle aussi fut rachetée par les mérites du Christ, mais d’une façon éminente et par anticipation. La fête de l’Immaculée nous présente ainsi la plénitude de grâce en Marie en même temps que la grandeur infinie de la miséricorde de Dieu. De fait, le péché originel et tous les péchés du monde illustrent d’une certaine façon la miséricorde infinie de Dieu. Sans le péché, il n’y aurait jamais eu ni l’Incarnation, ni Marie. Le péché, s’il reste abominable en lui-même, demeure une porte ouverte à la miséricorde, pour qui demande pardon à Dieu et accepte de se laver dans le sang du Christ, comme le dit l’Apocalypse.
Rachetés par le Christ
Comme le remarque fort justement le Pape, si tout était resté cantonné au péché, nous serions les plus désespérées des créatures. Mais non ! Par Jésus né de la femme à la plénitude des temps, Dieu riche en miséricorde a ré-ouvert les portes du Paradis à ceux qui en étaient tenus écartés. La première lecture de la fête tirée du livre de la Genèse énonce en effet ce que la tradition a appelé le Protévangile qui apparaît comme un arc en ciel au dessus du ciel noir qui a suivi la faute, parce qu’il contient la toute première promesse, tacite mais irrévocable, de Dieu à toute l’humanité déchue. Le Pape en profite pour rappeler une nouvelle fois l’existence du démon qui tente chacun de nous, en nous faisant croire que nous serons comme des dieux. C’est ce que Jean-Paul II appelait la métatention des origines, c’est-à-dire la tentation dans son sens métaphysique. Benoît XVI avait repris l’idée et le terme. Le Pape François, quant à lui, affirme clairement que la tentation de désobéissance s’exprime dans le fait de vouloir envisager notre vie indépendamment de la volonté de Dieu.
Entrons donc, comme le souhaite le Pape, dans cette année jubilaire qui est avant tout un temps de grâce. Pour cela, il nous faut impérativement redécouvrir la miséricorde de Dieu. Notre Dieu est un Dieu personnel et il vient à la rencontre de chacun de nous, si du moins, comme l’enfant prodigue, nous consentons à rentrer en nous-mêmes et à reprendre en sens inverse, aidée par Marie, la route qui nous avait éloignés de Dieu. Alors que le démon, ennemi séculaire du genre humain, cherche à laïciser les âmes pour les engloutir dans les tourbillons de la mondanité, le culte de la miséricorde propagé par sainte Faustine approfondit les vertus et les vraies valeurs et conduit les âmes à l’espérance du salut. Laissons-nous guider par le Bon Samaritain et par l’Église qui suit ses traces, comme l’avait déjà souligné le bienheureux Paul VI lors de la clôture du Concile. Que Marie mère de l’Église nous aide à franchir la porte de la miséricorde dans les dispositions qui conviennent !
L’homélie du Pape :
D’ici peu, j’aurai la joie d’ouvrir la Porte Sainte de la Miséricorde. Nous accomplissons ce geste – comme je l’ai fait à Bangui –- aussi simple que fortement symbolique, à la lumière de la Parole de Dieu que nous avons écoutée, et qui place au premier plan le primat de la grâce. Ce qui revient plusieurs fois dans ces Lectures, en effet, renvoie à l’expression que l’ange Gabriel adresse à une jeune fille, surprise et troublée, indiquant le mystère qui l’envelopperait : « Je te salue, comblée-de-grâce » (Lc 1, 28).
La Vierge Marie est appelée surtout à se réjouir de ce que le Seigneur a accompli en elle. La grâce de Dieu l’a enveloppée, la rendant digne de devenir mère du Christ. Lorsque Gabriel entre dans sa maison, le mystère le plus profond qui va au-delà de toute capacité de la raison, devient pour elle motif de joie, motif de foi, motif d’abandon à la parole qui lui est révélée. La plénitude de la grâce est en mesure de transformer le cœur, et le rend capable d’accomplir un acte tellement grand qu’il change l’histoire de l’humanité.
La grandeur de l’amour de Dieu
La fête de l’Immaculée Conception exprime la grandeur de l’amour de Dieu. Il est non seulement celui qui pardonne le péché, mais en Marie, il va jusqu’à prévenir la faute originelle, que tout homme porte en lui en entrant dans ce monde. C’est l’amour de Dieu qui devance, qui anticipe et qui sauve. Le début de l’histoire du péché dans le jardin de l’Éden se conclut dans le projet d’un amour qui sauve. Les paroles de la Genèse renvoient à l’expérience quotidienne que nous découvrons dans notre existence personnelle. Il y a toujours la tentation de la désobéissance qui s’exprime dans le fait de vouloir envisager notre vie indépendamment de la volonté de Dieu. C’est cela l’inimitié qui tente continuellement la vie des hommes pour les opposer au dessein de Dieu. Pourtant, même l’histoire du péché n’est compréhensible qu’à la lumière de l’amour qui pardonne. Le péché se comprend seulement sous cette lumière. Si tout restait cantonné au péché, nous serions les plus désespérées des créatures, alors que la promesse de la victoire de l’amour du Christ enferme tout dans la miséricorde du Père. La Parole de Dieu que nous avons entendue ne laisse pas de doute à ce sujet. La Vierge Immaculée est devant nous un témoin privilégié de cette promesse et de son accomplissement.
Cette Année extraordinaire est aussi un don de grâce. Entrer par cette Porte signifie découvrir la profondeur de la miséricorde du Père qui nous accueille tous et va à la rencontre de chacun personnellement. C’est Lui qui nous cherche ! C’est Lui qui vient à notre rencontre ! Ce sera une Année pour grandir dans la conviction de la miséricorde. Que de tort est fait à Dieu et à sa grâce lorsqu’on affirme avant tout que les péchés sont punis par son jugement, sans mettre en avant au contraire qu’ils sont pardonnés par sa miséricorde (cf. Augustin, De praedestinatione sanctorum 12, 24) ! Oui, c’est vraiment ainsi. Nous devons faire passer la miséricorde avant le jugement, et dans tous les cas le jugement de Dieu sera toujours à la lumière de sa miséricorde. Traverser la Porte Sainte nous fait donc nous sentir participants de ce mystère d’amour, de tendresse. Abandonnons toute forme de peur et de crainte, parce que cela ne sied pas à celui qui est aimé ; vivons plutôt la joie de la rencontre avec la grâce qui transforme tout.
Une rencontre
Aujourd’hui, ici à Rome et dans tous les diocèses du monde, en franchissant la Porte Sainte, nous voulons aussi rappeler une autre porte que, il y a cinquante ans, les Pères du Concile Vatican II ont ouverte vers le monde. Cette échéance ne peut pas être rappelée seulement pour la richesse des documents produits, qui jusqu’à nos jours permettent de vérifier le grand progrès accompli dans la foi. Mais, en premier lieu, le Concile a été une rencontre. Une véritable rencontre entre l’Église et les hommes de notre temps. Une rencontre marquée par la force de l’Esprit qui poussait son Église à sortir des obstacles qui pendant de nombreuses années l’avaient refermée sur elle-même, pour reprendre avec enthousiasme le chemin missionnaire. C’était la reprise d’un parcours pour aller à la rencontre de tout homme là où il vit : dans sa ville, dans sa maison, sur son lieu de travail… partout où il y a une personne, l’Église est appelée à la rejoindre pour lui apporter la joie de l’Évangile et pour apporter la miséricorde et le pardon de Dieu. Une poussée missionnaire, donc, qu’après ces décennies nous reprenons avec la même force et le même enthousiasme. Le Jubilé nous provoque à cette ouverture et nous oblige à ne pas négliger l’esprit qui a jailli de Vatican II, celui du Samaritain, comme l’a rappelé le bienheureux Paul VI lors de la conclusion du Concile. Franchir la Porte Sainte nous engage à faire nôtre la miséricorde du bon samaritain.