Si ça n’est pas une campagne d’opinion, ça y ressemble. Depuis quelques semaines, les reportages critiquant la politique migratoire supposément restrictive de l’Union européenne se multiplient. On trouve à l’origine de nombreux article les mauvais traitements infligés à des migrants en Libye. Et à l’arrivée, une demande d’ouverture plus large des frontières.
L’accord conclu avec la Turquie en 2016 a permis de freiner l’arrivée quotidienne de milliers de migrants par bateau sur des îles grecques de la mer Égée. Avant cet accord, rien qu’en 2015, 856 000 migrants étaient en effet arrivés en Europe par les côtes grecques. Les flux migratoires vers l’Europe se sont déportés en Italie via les côtes libyennes. L’Obs informait en août 2017 que « l’Italie a vu débarquer plus de 600 000 migrants depuis 2014, essentiellement passés par la Libye ».
Face à cette situation, Le Monde décrit « la nouvelle approche, intransigeante » de l’Union européenne : elle « s’est matérialisée en novembre 2015 avec le Fonds fiduciaire UE-Afrique. Lors d’une réunion à Malte, les dirigeants européens ont alors offert un montant initial de 1,8 milliard d’euros pour aider à expulser les migrants indésirables et empêcher les gens de partir ».
Quatre grands journaux européens – Le Monde, le Guardian (quotidien anglais), Der Spiegel (hebdomadaire allemand), El País (quotidien espagnol) – viennent de publier de façon simultanée une série de reportages sur le thème : « Quand l’Europe renvoie la crise migratoire de l’autre côté de la Méditerranée ».
Le ton est donné dès la présentation des reportages sur le site du Monde : « En endiguant le flux migratoire en provenance du Maghreb, l’Union européenne a provoqué un goulet d’étranglement cauchemardesque en Afrique ». « Les critiques estiment que l’Europe essaie simplement d’exporter le problème et de le contenir loin de ses côtes pour des raisons d’opportunisme politique, mais que cette approche ne fonctionnera pas ».
La présentation dans le quotidien The Guardian est encore plus sévère : « La conséquence (de cette politique) a été de sous-traiter la crise migratoire à la partie du monde la moins apte à la gérer ». « Nous créons le chaos dans notre arrière-cour et nous paierons un prix élevé si nous n’arrangeons pas la situation ».
Une vidéo accusatrice
La coopération de l’Union européenne avec la Libye est sous les feux d’une critique largement médiatisée : RFI, à l’instar notamment de LCI, Courrier International, etc. relaient les dénonciations de l’ONU des conditions de détention des clandestins dans ce pays.
Le journal télévisée de TF1 consacre le 17 novembre un reportage sur le thème : « l’Europe est-elle inhumaine avec les migrants ? ». Des extraits d’une vidéo tournée avec les acteurs Mathieu Kassovitz et Marina Fois sont diffusés afin de sensibiliser l’opinion, « parce que la fermeture des frontières tue », et « afin d’accueillir des migrants en Europe ». Le journaliste conclut le reportage en indiquant : « l’Europe est devenue une forteresse ».
France Info nous informe que le clip a été produit par le « Collectif pour une Nation Refuge, qui œuvre pour dénoncer les conditions actuelles du non-accueil des personnes exilées en France et ailleurs ».
Le clip est mis en ligne sur de nombreux sites de journaux : Le Parisien, LCI, Elle, Sud-Ouest, etc…
Exil physique et exil fiscal
On savait que Mathieu Kassovitz avait été lui-même tenté par l’exil, fiscal, cette fois. On connaissait aussi son sens de la mesure. Ce qui est plus étonnant, c’est de voir l’absence de recul du journaliste de TF1 par rapport au message véhiculé par le collectif ayant produit le clip : « protégeons les humains, pas les frontières ». Selon celui-ci, il faudrait délaisser la protection des frontières au profit de celle des humains. Comme si les deux étaient incompatibles. Comme si en parfaite antithèse, l’un devait absolument se substituer à l’autre.
Si la critique de l’application par certains pays africains de mesures pour empêcher les migrants de partir de Libye est une chose, dire comme le collectif produisant le clip que la France a une politique de « non accueil » en est une autre.
Non accueil ? Vraiment ?
La réalité est différente : les demandeurs d’asile n’ont jamais été aussi nombreux en France, tout comme le nombre de migrants mineurs – qui « explose » selon des chiffres publiés par le journal La Croix. Les situations de tension migratoire ne se limitent plus à Calais et à la Porte de la chapelle. Elles essaiment en Normandie, à Annecy, Metz, dans les Alpes du sud, etc.
D’après des informations disponibles sur le site de la CIMADE, le nombre de places d’hébergement des demandeurs d’asile qui strient le territoire français devrait lui aussi continuer à augmenter.
L’Aide médicale d’État pour les clandestins voit son budget passer en 2018 à 882 millions d’euros selon le quotidien du Médecin.
Il faut lire les comptes rendus des débats parlementaires pour apprendre que dans le budget 2018 de la France, « les crédits de la mission “Immigration, asile et intégration” représentent 1,383 milliard d’euros, soit une hausse de 26 % par rapport à 2017 ». Tandis que les crédits dédiés à la lutte contre l’immigration clandestine baisseront de 7 millions d’euros.
Si l’Europe est une forteresse, comme l’affirme le journaliste de TF1, on peut constater que le pont levis de la France est baissé et que l’on y entre en nombre, du moins pour qui se donne la peine d’aller au-delà de formules définitives et d’images censées marquer l’opinion. Un travail de journaliste, en somme…