Traverser la dépression d’Anselm Grün

Anselm Grün, né en 1945, est moine bénédictin et docteur en théologie. Cellérier de l’abbaye de Münsterschwarzach en Bavière, c’est-à-dire administrateur de ses biens temporels, il ne conçoit pas le « travail de bénédictin » comme pure érudition religieuse. En effet, son abbaye appartient à la branche « ottilienne », d’orientation missionnaire. Dans les années 1970, il découvrit la tradition des moines de l’Antiquité et entrevit leur signification, en lien avec la psychologie moderne. Évagre le Pontique, en particulier, vieux de 1600 ans, donne une description frappante de certains états dépressifs qui frappent nos contemporains. C’est dans cette perspective que le P. Grün anime des séminaires, donne des cours, des retraites, et enseigne la méditation, le jeûne et la contemplation. Il est l’auteur d’une longue série d’ouvrages de « psychologie pratique », dont le but est d’aider le lecteur à être en paix avec lui-même et avec Dieu, et dont plusieurs, traduits de l’allemand, sont publiés par Salvator.

Une aide spirituelle sans se substituer à la médecine

C’est donc en tant que « conseiller spirituel », riche des confidences de ses retraitants et en analysant différents épisodes évangéliques et bibliques, qu’il tente, dans ce livre, d’aider les déprimés à « traverser leur dépression ». Oh ! Il ne prétend pas se substituer aux médecins qui ordonnent des médicaments, ni aux psychiatres et psychothérapeutes ! Chacun, dans son domaine de compétence, a son efficacité et aucun n’est à négliger. Mais enfin, la dépression a aussi un aspect spirituel qui est son domaine à lui. Il n’ose affirmer avoir « guéri » des patients, mais il est conscient d’avoir amélioré l’état de plus d’un. Les causes et les symptômes de la dépression sont de toutes sortes. Il examine successivement celui qui est « épuisé par trop de difficultés », le « trop sensible pour le monde d’ici-bas », le « déprimé malgré le succès », celui qui se sent « responsable ou coupable de tout » etc.

Le premier pas, pour un patient, est de « faire face à sa dépression », ce qu’il fait lorsque, au lieu de se dire « le monde est affreux », il arrive à se dire « le monde me parait affreux, je le vois avec des lunettes noires ». À partir de ce moment, il peut, avec profit, méditer sur certaines guérisons opérées par le Christ : s’assimiler au lépreux s’il se sent accablé de culpabilité, à l’aveugle, s’il ne voit pour lui aucun avenir possible, au paralytique si la moindre action lui pèse et si le simple fait de sortir de son lit est pour lui une épreuve. Les commentaires que fait le P. Grün de ces épisodes évangéliques peuvent l’aider à les méditer. Les relations du roi Saül et de David, l’histoire personnelle du prophète Jérémie peuvent être lues, comme des métaphores d’états dépressifs. On remarque que saint Paul est maintes fois mis à contribution, et bien entendu, la Passion du Christ et l’agonie au Jardin des Oliviers. Tout au long du livre il donne des références bibliques qui sont autant d’occasions pour le malade, qui voudrait bien entrer dans son jeu, d’ouvrir le Livre des livres et de s’y plonger en se laissant guider par cet homme d’expérience qui leur fera bien souvent découvrir que leur dépression est un signal, un appel à un changement de vie, la nécessité de passer à une nouvelle étape.

L’auteur essaie de nous faire comprendre à la fois la ressemblance et la différence qui existent entre la simple dépression et la « nuit obscure » des mystiques. Si le déprimé, qui a longuement prié d’être délivré de sa dépression et qui n’a pas été exaucé, arrive à dire du fond du cœur : « Que votre volonté soit faite et non pas la mienne », à accepter sa souffrance, à s’accepter tel qu’il est avec sa « finitude », et à prendre appui sur la volonté de Dieu, il passe d’une attitude égocentrique à une attitude théocentrisme qui va lui permettre de rebondir, de retrouver des forces dans une sorte d’héroïsme. Il y a des « mélancoliques » qui ne sortiront pas d’un pessimisme fondamental mais qui peuvent apprendre à vivre avec leur dépression et en tirer profit. Il postule qu’il y a au « tréfonds » de chaque individu un « espace » où il est « entier et intact, où la maladie n’a pas accès » où « Dieu a établi sa demeure » et qu’on peut l’atteindre après avoir « traversé » toutes sortes d’obstacles.

Référence à de nombreuses lectures

Ce livre, qui ne comporte pas de bibliographie, fait allusion, chemin faisant à une multitude de lectures de l’auteur, surtout des ouvrages allemands ou anglo-saxons qui ne seront pas d’un accès très facile au lecteur français qui voudrait s’y référer. Il s’adresse à la fois aux déprimés et à leurs thérapeutes, et les lecteurs qui ne sont ni déprimés ni thérapeutes, peuvent avoir du mal à comprendre certaines formules et certaines situations. Mais qui n’a jamais été un jour ou l’autre découragé ou accablé de tristesse ? Tout le monde peut avoir profit à feuilleter sa Bible en utilisant les références vers lesquelles nous dirige ce vieux moine.

Le lecteur restera peut-être tout de même un peu sur sa faim. Anselm ne nous fait pas de confidences personnelles. Pourquoi s’est-il fait bénédictin, au lieu d’ouvrir tout simplement un cabinet de psychothérapie ? Entrer dans un ordre religieux suppose qu’on quitte le « monde » , qu’on renonce totalement à sa volonté propre pour ne faire que celle de Dieu. Ce n’est pas un métier comme un autre. Cela suppose un total décentrement de soi-même. Anselm, qui, comprend si bien ceux qui sont plongés dans l’obscurité de la dépression, ne serait-il pas, pour en arriver là, passé, lui aussi, par un temps de « nuit obscure » ?

Anselm GRÜN, Traverser la dépression : Impulsions spirituelles, Paris, Éditions Salvator, septembre 2016, 190 pages, 19 euros.

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