Quand on demande à un républicain s’il n’a pas l’impression d’adhérer davantage à un dogme religieux qu’à un régime, il vous regarde avec incrédulité ou ahurissement – sinon avec mépris –, se demandant s’il a bien entendu la question. Et pourtant, tout républicain, quelque peu conséquent, c’est-à-dire conservant une distance critique vis-à-vis de la République en majuscule, devrait s’interroger sur la nature ontologique d’un modèle politique – systématiquement confondu avec la démocratie – bien plus confusément accepté comme croyance que fondé en raison.
Évoquant la « religion républicaine », seul un Vincent Peillon – il est vrai, philosophe de formation – eut le mérite de lever le voile d’hypocrisie recouvrant la réalité vécue d’une abstraction dont tout zélote psalmodie les « valeurs », célèbre les cultes et encense les grands « saints » laïques. Il ne lui avait pas échappé que si les curés d’antan assuraient l’instruction des petits paysans de France, l’école républicaine devait impérativement s’y substituer car « c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école cette nouvelle Église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi » (La Révolution française n’est pas terminée, Seuil, 2008).
Le débat semble se poursuivre dans les travées de l’Assemblée nationale où les parlementaires discutent en ce moment d’une proposition de loi « instituant des funérailles républicaines », déposée le 9 décembre 2014 par Bruno Le Roux. En un article unique inséré dans le Code général des collectivités territoriales, le député socialiste propose que les communes mettent gratuitement à disposition une salle municipale où « à la demande de la famille du défunt, un représentant de la commune, officier d’état civil, procède à une cérémonie civile ».
Prenant prétexte de l’indifférence religieuse de certains de nos concitoyens, l’élu motive son texte en postulant que ces derniers « attendent de notre République qu’elle leur offre des perspectives pour accompagner leurs morts » (sic).
À juste titre, le député de la Ligue du Sud, Jacques Bompard, réclama la suppression d’une telle disposition, attendu que « la citoyenneté […] n’a aucun rapport avec le Salut. Aussi, on aurait du mal à comprendre l’intérêt d’une telle cérémonie. »
Profitant, néanmoins, de l’occasion, il déposa un amendement suggérant que « la République française demande pardon aux rois de France et aux Français pour le saccage de leurs sépultures lors de la profanation des tombes de l’abbaye de Saint-Denis en 1793 et 1794 ».
Par décret du 1er août 1793, la Convention, emportée par Barère, décida, en effet, que « les tombeaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l’église de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l’étendue de la république, seront détruits le 10 août prochain ». Si Napoléon réintégra les premiers cénotaphes dans la nécropole royale, c’est à Louis XVIII, frère du roi-martyr, reprenant « à la fois possession de son trône et de son tombeau » (selon la saisissante expression de Chateaubriand) qu’incomba l’initiative d’y rapatrier les restes de ses aïeux.
L’« amendement Bompard » a évidemment valeur de témoignage et, au regard de ce passé sanglant, revêt toute l’éminente solennité d’un historial. Mais peut-on sérieusement attendre d’un dogme qu’il se rédime à propos d’un acte participant, précisément, de sa propre fondation et mû par une folle volonté de régénération de la société française ? Allégorie fangeuse bâtie sur l’holocauste des Vendéens, la République, portée par l’infernale logique de son idée (le propre de l’idéologie, selon Hanna Arendt), restera toujours hermétique à cette formule de l’auteur (déjà cité) du Génie du christianisme : « Les tombeaux des aïeux sont la base sacrée de tout gouvernement durable. »