Par Guillaume Champeaux
Nous le répétons désormais depuis trois ans. Depuis que nous avons expliqué pour la première fois, dans un climat où la détestation de l’Hadopi était encore très forte, pourquoi la jeune autorité administrative de lutte contre le piratage pouvait paradoxalement devenir une alliée de circonstances pour la protection des libertés sur Internet. A l’époque, notre théorie qui faisait du CSA un adversaire bien plus dangereux que la Haute Autorité pouvait encore faire sourire. Elle est désormais plus que jamais proche de la réalité.
BFM Business a publié les grandes lignes de ce que contiendrait le projet de loi Création (*) préparé par Aurélie Filippetti, qui accorde une très large place au CSA dans la régulation du web. Or comme nous l’avions prévu en 2011, l’un des objectifs de la loi est bien de donner au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel les moyens de réguler le web en utilisant les redoutables outils de filtrage dans lesquels l’Hadopi a toujours refusé de mettre les mains.
La main sur les outils de filtrage…
Depuis 2004, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) prévoit en son article 6 que les FAI doivent informer leurs abonnés “de l’existence de moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens“. En 2009, la loi Hadopi est venue ajouter le fait que les opérateurs télécoms doivent proposer à leurs abonnés “au moins un des moyens (de filtrage) figurant sur la liste” des moyens de sécurisation que l’Hadopi est censée établir, en vertu de l’article L331-26 du code de la propriété intellectuelle.
En clair, l’administration a le devoir de dire aux FAI quels outils de filtrage ils doivent proposer à leurs abonnés, et de réguler la façon dont ces outils doivent fonctionner. Notamment, quels sites, contenus ou applications ils doivent interdire.
Cependant, quitte à trahir le droit qui l’oblige à labelliser les moyens de sécurisation, la Haute Autorité s’est toujours refusée à mettre en oeuvre cette disposition législative, par crainte des effets de bord. Même si elle a lancé des travaux d’élaboration des critères techniques à prendre en compte, elle a rapidement abandonné et reconnaît désormais volontiers qu’elle n’établira jamais la moindre liste d’outils de filtrage.
… imposés par défaut aux internautes
Mais la loi Création d’Aurélie Filippetti prévoit de supprimer l’Hadopi et de confier ces pouvoirs au CSA, qui n’a pas cette timidité. Bien au contraire. Dès le début de l’année 2011, le CSA avait dit son souhait d’imposer le blocage de sites non labellisés par le CSA, et sa ligne n’a jamais varié d’un iota depuis, malgré un changement de présidence.
Alors que l’Hadopi s’y est refusée, le CSA sautera à pieds joints sur la possibilité de réguler les outils de filtrage et d’en imposer la liste aux FAI. Elle le fera non seulement pour la lutte contre le piratage, mais aussi pour toute une série de régulations sociétales et économiques dont elle s’estime investie.
Selon BFM Business, le projet de loi Création disposera ainsi que le CSA veille sur le web “au respect par les services audiovisuels, de la protection de l’enfance et de l’adolescence, de la dignité de la personne humaine, et de l’interdiction de l’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons, de race, de sexe, de meurs, de religion ou de nationalité“. La définition des “services audiovisuels” sera elle-même élargie pour s’appliquer à des sites internet comme YouTube ou Dailymotion, de façon à atteindre les vidéos personnelles.
Or là où la loi Hadopi condamne le fait pour l’abonné de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation, le CSA et la loi Création pourraient renverser la logique en imposant un filtrage par défaut au niveau des FAI, comme c’est le cas en Grande-Bretagne. L’abonné qui décide de demander la désactivation du filtrage pourra être fiché en tant que tel, et risquera d’être jugé coupable de “négligence caractérisée” s’il est ainsi démontré facilement qu’il a demandé à s’affranchir des mesures de protection que lui proposait l’Etat à travers son opérateur télécom.
C’est donc la censure qui deviendra la norme, et la liberté qui deviendra la déviance surveillée et traquée.