Hommage à la Grèce chez Fragonard (Vidéo)

Depuis quelques années, les parfumeurs de Grasse ont relancé la production locale de roses, de jasmin et de tubéreuse afin de résister à la concurrence de pays comme l’Inde ou la Tunisie. Pari gagné puisque le parfum français renaît dans cette ville spécialisée au Moyen Age dans la ganterie. Pour masquer les odeurs nauséabondes des peaux tannées, le gantier Galimard avait eu l’idée géniale de faire tremper ces dernières dans des essences parfumées et, dès le XVIe siècle, les meilleurs parfums étaient produits à Grasse.

Une tradition récompensée

Des siècles plus tard, ce savoir-faire ancestral est enfin reconnu puisque l’Unesco a eu le bon goût de faire figurer récemment les parfums grassois au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, notamment pour l’art de composer le parfum. Une distinction parfaitement méritée pour des maisons comme Molinard ou Fragonard, mais n’oublions pas les petits artisans qui perpétuent difficilement cet art à la française. Il est simplement regrettable que certains quartiers de cette belle ville méridionale aient des allures de casbah livrée à une population musulmane qui semble se complaire dans le farniente. Et que dire de toutes ces boutiques qui ont mis la clef sous la porte, victimes de la désertification des centres-villes sciemment programmée depuis des décennies par tous ceux qui nous gouvernent ?

Des musées pas comme les autres

Peintre emblématique de la cité grassoise, Jean-Honoré Fragonard est omniprésent et surtout dans le musée – ancien hôtel de Villeneuve – qui abrite une quinzaine de ses œuvres ainsi que des toiles de sa belle-sœur si douée, Marguerite Gérard, ou de Jean-Baptiste Mallet, autre enfant du pays. La famille Costa, descendant d’Eugène Fuchs, créateur des parfums Fragonard, fait partie de ces évergètes qui consacrent leur fortune à une passion – en l’occurrence le XVIIIe siècle et l’amour de la Provence – pour permettre à tout un chacun d’admirer un portrait de Fragonard ou de lorgner une belle tenue d’Arlésienne, comme c’est le cas dans l’ancien hôtel Clapiers-Cabris abritant une collection de robes qui aurait fait pâlir d’envie la Mireille de Mistral. Des expositions temporaires sont organisées dans ces deux hôtels particuliers pour parfaire cette connaissance d’un siècle qui aura produit Elisabeth Vigée-Lebrun, Boucher ou Chardin, ou pour conduire les visiteurs dans les secrets des costumes venus d’ailleurs. Parallèlement à cela, la collection été du parfumeur est dédiée à la Grèce et l’on ne peut que regretter que certains coussins ou sets de table, directement inspirés du peintre naïf, et natif de Mytilène, Théophilos (1870-1934), ne comportent pas la moindre référence à son œuvre.

La femme vue par Rome et Athènes

Bien avant que la France ne s’enflamme pour sa libération, la Grèce occupait un rôle majeur dans l’imaginaire à la fin du XVIIIe siècle, s’agissant de « la décoration intérieure et extérieure des bâtiments, des meubles, des étoffes, des bijoux de toute espèce », ainsi que le notait Grimm lors d’une visite à Paris en 1763. L’image d’une Grèce rêvée était portée à son comble par l’abbé Barthélemy dans Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, paru en 1788 et qui connut un succès considérable. La Révolution mettait fin à tout cela en imposant l’image d’une Antiquité romaine mâle et guerrière que l’épopée napoléonienne amplifiera.

En organisant une exposition sur le thème « Rome vs Athènes – Les deux visages de la femme sous la Révolution française », les responsables du musée grassois montrent la dichotomie entre l’époque de Robespierre (précédé d’ailleurs par l’ignoble Rousseau dans l’Emile) qui entendait exclure les femmes des affaires de la cité (mais incita ses contemporaines à suivre l’exemple de la Romaine Cornélie, mère des Gracques), et celle du Directoire qui remit à l’honneur les Grecques et en particulier la célèbre Aspasie. Curieusement, Marlène Schiappa n’a pas mis son grain de sel dans l’affaire. Tant mieux, car elle aurait, à coup sûr, sorti une grosse bourde. Dans un tableau prêté par le musée toulousain des Augustins, Pierre Peyron a représenté Cornélie, mère des Gracques. La peinture est volontairement austère. Seule la servante est mise en valeur pendant que les enfants et leur mère sont dans l’ombre, comme plongés dans la douleur et le désespoir. A l’opposé, Nicolas André Monsiau peint vers 1806 Aspasie s’entretenant avec les hommes les plus illustres d’Athènes. Entourée de Socrate, Alcibiade, Platon et Périclès, elle discute d’égal à égal avec le gratin athénien, vêtue d’une robe mettant ses charmes en valeur.

Elisabeth Vigée-Lebrun, qui avait déclaré après l789 : « Les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées », est également présente sur les murs du musée avec une superbe Lady Hamilton posant en sibylle de Cumes et un portrait d’Amphyon jouant de la lyre avec trois naïades. Point commun à ces deux œuvres : la légèreté, les couleurs pourpre qui dominent et les yeux particulièrement envoûtants de tous les personnages. N’oublions pas enfin les indispensables amours, croqués par Jean-Baptiste Mallet ou Girodet, qui rappellent que ces petits êtres ailés apparus dans la statuaire antique occupaient une place de choix dans les tableaux de Fragonard.

Histoire du costume grec

Les fidèles du musée provençal du Costume ont eu l’heureuse surprise, cette année, de découvrir une petite partie des trésors amassés depuis des lustres par le musée Benaki à Athènes, dont les conservateurs ont eu la bonne idée de prêter quelques belles pièces au petit frère provençal. Histoire de montrer le lien qui existe entre les robes des Arlésiennes et telle ou telle tenue d’apparat crétoise issue d’un savoir-faire séculaire influencé par Venise. Les costumes féminins exposés s’inspirent de la tradition byzantine, à commencer par la chemise ou dalmatique, dotée de manches aux bords richement brodés. On ajoute à cela une robe sans manches et un manteau souvent bordé de fourrure, en particulier en Epire ou en Macédoine. La mode ottomane ajouta des kaftans et des voiles. Les tissus sont précieux (velours, soie, satin), et les broderies souvent effectuées avec des fils d’or sont inspirées par la tradition vénitienne pour certaines îles ou par une tradition plus ancienne qui n’a rien à voir avec l’occupation turque. Après la guerre d’indépendance, les bourgeoises grecques s’inspireront de la mode européenne et notamment les habitantes de l’île d’Hydra dont les maris, et en particulier Dimitrios Voulgaris, furent les premiers à porter le fer contre les Ottomans. Nombre de bijoux exposés sont enracinés dans la tradition byzantine et l’on peut également admirer l’orfèvrerie des îles ou celle de Ioannina avec le travail du filigrane. Bijoux de coiffe, bandeaux, parures décorant le cou et la poitrine, boucles d’oreille en forme de caravelles comme le voulait la tradition à Patmos ou en forme de cloches comme à Kos sont autant de témoignages d’un art assuré qui continue de nos jours avec des joailliers comme Zolotas, Lalaounis ou Sergakis.

Ce voyage immobile est une occasion supplémentaire de constater que les liens unissant le monde grec et latin à la Provence sont toujours aussi puissants. Comme l’écrivait Maurras dans L’Etang de Berre : « L’essentiel est qu’il existe une civilisation latine, un esprit latin, véhicule et complément de l’hellénisme, interprète de la raison et de la beauté athénienne, durable monument de la force romaine. » N’est-ce pas là en effet l’essentiel en ces temps d’extrême confusion ? •

Françoise Monestier – Présent

Trésors du musée Benaki d’Athènes, jusqu’au 22 septembre au musée provençal du Costume et du Bijou, Grasse.

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