Fidèle au vœu de silence auquel s’engage tout moine trappiste, Thomas Merton est discret même dans l’au-delà. Force est de constater que le centenaire de son anniversaire passe totalement inaperçu en France où le plus grand auteur spirituel américain du XXe siècle est né le 31 janvier 1915, à Prades, au pied du massif pyrénéen.
Ce silence est d’autant plus dommageable que Thomas Merton, père Louis en religion, a de nombreuses vérités à faire éclater à nos oreilles de pantins post-modernes. C’est le grand mérite de Merton d’être pleinement de notre temps, d’en avoir goûté les fruits pourris, d’avoir cru à ses mirages, d’avoir si souvent marché au bord de l’abîme qu’ouvre un monde privé de sens. Il nous parle donc de plain-pied.
Fils d’un couple d’artistes, ballotté à travers le monde avant de s’installer durablement aux Etats-Unis, à l’aise financièrement, Thomas Merton a vécu avec frénésie ses années étudiantes à Cambridge puis à l’université de Columbia, dans l’Etat de New-York. Ne fuyant pas la compagnie féminine, arpentant les caves de jazz jusqu’à l’aube en s’enivrant de mauvais cocktails, Merton consume sa jeunesse sans trouver sa voie. Parallèlement, il tente une carrière littéraire en écrivant des romans à la veine populaire, des poèmes et des recensions, qu’il envoie à travers le pays à différents périodiques et maisons d’édition, sans réel succès. Un esprit aussi vif et clairvoyant que le sien ne pouvait pas se laisser anesthésier par le bal incessant des faux plaisirs et des vraies désillusions. Tourmenté par une véritable recherche spirituelle, il se convertit au catholicisme en 1938, particulièrement touché par la lecture de saint Bernard, de saint Thomas d’Aquin mais aussi de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, qui lui demeurera proche tout au long de sa vie.
Après une entrée ratée en 1938 dans l’ordre des frères mineurs, il est admis au noviciat de l’abbaye trappiste de Gethsemani dans l’Etat du Kentucky, en 1941. L’abbaye compte alors à cette époque une écrasante majorité de moines français, issus des attaques anticléricales du début du siècle. Conscient de son talent littéraire, le père abbé lui demande alors de lui remettre un récit autobiographique. Publié, La Nuit privée d’étoiles sera un succès mondial, vendu à plus d’un million d’exemplaires et traduit en quinze langues.
Il s’agit d’un saisissant récit de conversion, sans faux-semblants ni mièvrerie. Voilà un ouvrage qui peut efficacement semer les germes de la grâce dans un esprit qui cherche la paix intérieure. Il suffit d’écouter son témoignage : « J’étais libre. J’avais retrouvé ma liberté. J’appartenais à Dieu, non à moi, et lui appartenir, c’est être libre, libéré de toutes les anxiétés, les soucis, les chagrins qui sont le propre de cette terre et de l’amour des biens terrestres. Quelle différence y a-t-il entre un endroit et un autre (…) si votre vie est à Dieu, si vous vous abandonnez entièrement entre ses mains ? »
Parmi les autres ouvrages disponibles en français, retenons Nul n’est une île, Le Retour au silence et Saint Bernard de Clairvaux, le dernier des Pères. A travers ces quelques lectures, il y a un beau chemin spirituel à faire à l’occasion de ce centenaire. C’est pour notre plus grand profit que nous ferons ainsi taire quelques heures les sirènes bruyantes du désastre moderne.
Pierre Saint-Servant – Présent