Il y a un point où le rapprochement avec l’Occupation est d’une pertinence accablante, c’est la Collaboration et les collaborateurs.
Je me suis longtemps dérobé à la tentation de faire le rapprochement entre la dernière guerre, la défaite, l’Occupation, la Résistance, d’une part, et l’horreur de ce qui nous arrive aujourd’hui, d’autre part. Il y avait d’abord qu’on le faisait beaucoup en face, ce rapprochement. Il était même chez nos adversaires une véritable manie, une facilité de langage et d’argumentation qui avait fini, à force d’avoir trop servi, par faire rire tout le monde (un peu jaune, il est vrai) : années trente, eau de Vichy, heures les plus sombres de notre histoire et tout ça. Il est à relever à ce propos que, par un beau succès idéologique parmi d’autres, ce répertoire référentiel a totalement changé de camp, et que ce n’est plus du côté des patriotes, aujourd’hui, qu’on est exposé à se voir reprocher son aveuglement ou sa complaisance face au totalitarisme qui vient, son esprit munichois ou ses poignées de main de Montoire, voire son intelligence avec l’ennemi.
N’empêche – on aurait beau jeu de nous faire remarquer que la submersion ethnique en cours diffère par bien des points de l’Occupation allemande : elle n’est pas militaire (encore qu’elle le devienne de plus en plus, avec la diffusion des kalachnikov dans les quartiers et la banalisation des tirs de mortier sur les commissariats de police), elle n’a pas de caractère officiel, elle ne s’appuie pas sur la puissance victorieuse d’un État, elle ne pratique pas la torture dans les caves (nonobstant Ilan Halimi et malgré les tournantes). D’autre part, il serait bien ridicule de notre part de nous parer du beau titre de résistants, nous qui, par notre action, nous exposons à quelques sérieux désagréments, certes, mais pas aux sévices d’une quelconque Gestapo, ni aux camps de concentration.
En revanche, il y a un point où le rapprochement avec l’Occupation est d’une pertinence accablante, c’est la Collaboration et les collaborateurs. Maintenant comme alors, plus gravement et plus profondément qu’alors – car la submersion démographique est plus irréversible que la défaite militaire -, notre patrie et notre peuple sont clairement menacés par la conquête et l’asservissement de la part d’une idéologie totalitaire et meurtrière qui, pas plus que l’autre, ne dissimule en quoi que ce soit ses intentions. Or, c’est à ceux de nos gouvernants petits et grands, de nos maires, de nos ministres, de nos hommes et femmes politiques au pouvoir ou dans l’opposition « républicaine », de nos intellectuels, de nos journalistes, de nos grandes institutions médiatiques ou muséographiques, de nos « artistes » de variété et j’en passe, qui lui témoigneront le plus de complaisance niaise et de servilité intéressée, comme s’il n’était pas évident que les vainqueurs, une fois leur conquête tout à fait assurée, se débarrasseront d’abord de ceux qu’ils mépriseront le plus, ceux qui auront fait preuve devant eux de la plus grande bassesse.
C’est à se demander si au cours de l’histoire un peuple a jamais été à ce point détesté par ceux qui ont en charge de le gouverner et de l’éclairer et qui n’ont de cesse au contraire, dirait-on, qu’ils ne l’aient humilié davantage, encore mieux trahi, plus cruellement abandonné et remplacé.
C’est en ce sens, face à la collaboration éhontée de nos « élites » si peu élitaires et si mal élitistes, que la Résistance est pour nous une source d’inspiration de tous les instants, si indignes que nous soyons d’autre part de nos héroïques modèles.
Mais un autre paradigme, moins directement inscrit dans l’histoire nationale puisque la France, dans le passé, avait été colonisatrice et non pas colonisée comme elle l’est à présent, c’est celui de la lutte anticolonialiste, justement. Ceux qui sont incapables de reconnaître les constantes profondes entre des situations superficiellement différentes ne voient pas plus de similitudes entre l’état présent de la patrie et celui d’un peuple colonisé qu’ils n’en distinguent entre notre condition actuelle et celle de nos pères ou grands-pères il y a trois quarts de siècle. Colonisation et contre-colonisation ne se ressemblent pas à première vue, je le veux bien ; mais il n’y a là, dans ces différences superficielles, qu’une ruse de l’histoire pour dissimuler le même impérialisme à l’œuvre, le même éternel esprit de conquête.
L’Europe est aujourd’hui bien plus sérieusement et profondément colonisée par l’Afrique qu’elle ne l’a jamais colonisée elle-même. Or, l’évidence est qu’il faut mettre un terme à l’ère coloniale, et revenir au vieux principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sur un territoire qu’ils puissent dire leur sans conteste possible, en un espace où leur culture et leur civilisation puissent prospérer en toute liberté. Il faut arrêter au-dessus de la Méditerranée le balancier fou des colonisation et contre-colonisations. C’est en cela, qui l’aurait cru, que le combat anticolonialiste nous échoit aujourd’hui à notre tour, au même titre que l’indispensable esprit de résistance. Après tout, il est plus plaisant, ne serait-ce que moralement, de se battre pour la liberté des nôtres que pour l’asservissement des autres.