Si Téchiné a passé l’âge de faire de l’esbroufe, il n’en est pas moins un metteur en scène d’une intelligence rare. L’affaire Agnès Le Roux est un sujet pour lui. Elle condense toutes les passions humaines. Dans ce fait divers qui n’en finit pas de défrayer la chronique, la famille, l’amour et l’argent s’y entremêlent de façon vertigineuse.
Le dernier verdict est tombé récemment (condamnant Agnelet pour le meurtre d’Agnès Le Roux en 1977), mais après le tournage de L’homme qu’on aimait trop. Téchiné, dont le film se termine par le précédent procès et un acquittement, a ajouté un carton pour informer du dernier jugement. On aurait pu craindre que ce coup de théâtre rende caduque L’homme qu’on aimait trop. Il n’en est rien. Sans cadavre ni scène de cri
L’homme qu’on aimait trop : la femme qui était mal aimée, le film d’André Téchiné n’a pas eu les honneurs de la compétition. On entend déjà ses détracteurs s’en féliciter, dénigrant une mise en scène académique. Sans doute préfèrent-ils la fresque humanitaire sur la Tchétchénie deMichel Hazanavicius. Toujours est-il qu’ils confondent académisme et classicisme. Si Téchiné a passé l’âge de faire de l’esbroufe, il n’en est pas moins un metteur en scène d’une intelligence rare. L’affaire Agnès Le Roux est un sujet pour lui. Elle condense toutes les passions humaines. Dans ce fait divers qui n’en finit pas de défrayer la chronique, la famille, l’amour et l’argent s’y entremêlent de façon vertigineuse.
Le film s’inspire des Mémoires de la mère d’Agnès Le Roux, Une femme face à la Mafia, écrites par son fils Jean-Charles. Mais Téchiné ne signe pas un film à charge contre Agnelet. Il n’en fait pas non plus un agneau. Guillaume Canet est parfait en jeune avocat arriviste, magouilleur, amateur de femmes. «Toutes ses maîtresses ont eu envie de se suicider à un moment ou à un autre », dira l’une d’elles à son procès. Ce Rastignac niçois enregistre sur des bandes magnétiques toutes ses conversations au téléphone. Il n’a pas de scrupules, ni en affaires ni en amour. Il trahit Renée Le Roux (Catherine Deneuve), reine des casinos sur le déclin, au profit de sa fille Agnès et aussi du sien.
Le personnage intrigue Téchiné mais, plus encore, c’est la personnalité d’Agnès Le Roux qui fascine le cinéaste dans cette histoire. Pour la plupart des gens, Agnès Le Roux n’est qu’un nom, que le temps a relégué à l’arrière-plan. On devine que c’est surtout pour elle que Téchiné a tournéL’homme qu’on aimait trop. On découvre la jeune femme de retour d’Afrique, à peine divorcée. Elle est pleine de vie, frondeuse, n’a pas peur de se baigner dans une mère gelée. Héritière effrontée, elle veut sa part du gâteau pour vivre d’autres aventures. Elle est forte et fragile. Adèle Haenel, pulpeuse et pleine de larmes, l’incarne avec une puissance exceptionnelle. Avec elle, une danse africaine devient une transe démentielle. Agnelet veut en croquer. Elle lui sert son corps et son cœur sur un plateau. Elle l’aime plus qu’il ne l’aime. Elle lui écrit des lettres enflammées. Agnelet est comme tous les hommes ; le désir d’une femme est un gouffre. Il attire autant qu’il terrifie.L’homme qu’on aimait trop est un portrait de femme saisissant, peut-être l’un des plus beaux qu’il nous ait été donné de voir sur un écran depuis longtemps.