Du nouveau sur les Khipus incas (Vidéo)

La récente publication par les presses de l’université de Chicago des travaux du professeur d’anthropologie sociale de l’université écossaise de St. Andrews, Mme Sabine Hyland, a fait faire un saut de 500 ans à ce que l’on savait des Khipus incas, une forme d’écriture unique.

Les Khipus incas – ou Quipu, Quipou, Quipo, du quechua « nœud » – viennent de loin. Il est permis de penser qu’ils descendent des lointains Mantos de la civilisation Paracas (entre -800 et +200, région d’Ica au Pérou). Les Mantos étaient des manteaux mortuaires faits de coton, de laine d’alpaga ou de vigogne, parfois de fibres végétales et de cheveux humains. Ils présentaient des figures répétées, comme des mantras, messages codifiés dans le tissu, que les défunts devaient présenter aux puissances de l’au-delà, leurs couleurs possédaient des significations qui n’ont pas été transmises. Deux savants français se sont intéressés aux Khipus incas au XIXe siècle, le naturaliste Alcide d’Orbigny (1802-1857), et le diplomate et archéologue Charles Wiener (1851-1913).

La civilisation de l’Empire inca (1400-1532) avait développé une architecture monumentale dont les techniques de construction demeurent pour la plupart mystérieuses, un réseau de routes supérieur par sa qualité et son étendue à celui de l’Empire romain, un grand savoir dans le travail de l’or et de l’argent, la confection de textiles faits de plumes, une grande intelligence dans l’utilisation des ressources géographiques… mais elle ne connaissait ni la roue, ni le papier et les instruments d’écriture ; elle ne connaissait donc pas, en toute logique, de système d’écriture qui nous soit reconnaissable. C’était sans compter avec les khipus.

Les Khipus sont des structures faites de cordes, ou de fils de coton ou de laine parsemés de nœuds. Ils comprennent une corde principale (environ 60 cm), d’où pendent plusieurs cordelettes (jusqu’à 300) distribuées en groupes irréguliers comportant des nœuds ou des groupes de nœuds. A leur jonction avec la corde principale, les cordelettes sont entourées de fils de couleurs de matières diverses, fibres animales, végétales, etc. Tout, dans le Khipu possède un sens, jusqu’à la direction de la torsion des fils.

Jusqu’aux découvertes récentes du professeur Hyland, les Khipus ont été considérés comme de simples moyens mnémotechniques, notamment pour la comptabilité, uniquement intelligibles à ceux qui les avaient composés. Et ce, malgré les rapports des chroniqueurs espagnols de l’époque. Ainsi, Miguel de Estete (1507-1550 ?) et Felipe Guaman Poma de Ayala (1550-1616), rapportent que les Incas « administraient leur empire à l’aide de cordelettes », et que l’éducation des dignitaires incluait une année passée à l’étude des Khipus. De fait, les Khipusétaient utilisés dans tous les domaines, et Guaman Poma de conclure : « les Khipus montrent une grande diversité de couleurs et peuvent contenir des récits historiques avec la même facilité que les livres d’Europe. »

Le professeur Hyland a eu la possibilité d’étudier fin 2015 deux Khipus conservés dans le village andin péruvien San Juan de Collata, à 3 180 mètres d’altitude dans la province d’Huarochiri. Ces Khipus sont conservés par les anciens avec des manuscrits dans un coffre en bois qui constitue le trésor du village. Ils datent du milieu du XVIIIe siècle, époque du chef indigène Pedro Cajayauri, et relatent les rébellions violemment réprimées de 1750 et 1783 contre l’autorité espagnole, destinées à restaurer des prétendants incas. Ce sont les premiers khipus à être clairement identifiés comme récits par les descendants de ceux qui les ont composés.

Le professeur Hyland a pu déterminer que ces Khipus comportaient 95 symboles ou signes distincts, et qu’ils composaient donc un langage logo-syllabique – une écriture est dite logo-syllabique si elle comporte entre 80 à 800 signes, chaque signe représentant une ou plusieurs syllabes. La découverte est de première importance puisqu’elle montre que les Khipus constituaient bien un langage commun, et qu’ils ne servaient pas uniquement à des données comptables.

Il existe aujourd’hui à travers le monde près de 800 Khipus conservés dans les musées et les universités. Après la brèche ouverte pour les non-initiés dans les secrets des Khipus par le professeur Hyland, les chercheurs rêvent maintenant de la découverte d’un Khipu « pierre de Rosette » qui leur permettrait de percer définitivement les mystères de cet unique système de communication.

Pierre Barbey – Présent

Photo Inca tenant un khipu, dessin tiré du manuscrit de Felipe Guaman Poma de Ayala (La première et nouvelle Chronique et le bon Gouvernement, début XVIIe).

 

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