L’Etat islamique s’est entièrement emparé de Palmyre ce jeudi. Hadrien Desuin dénonce l’inaction de la coalition qui préfère sacrifier la cité antique plutôt que d’apporter son concours à Bachar al-Assad.
Le 13 mai, l’offensive de l’Etat islamique débutait à Palmyre, carrefour névralgique du désert syrien et vestige antique d’une civilisation bel et bien disparue. Deux grosses larmes de crocodile ont coulé sur les joues de Laurent Fabius et François Hollande. Une semaine plus tard, une contre-offensive djihadiste fait reculer l’armée syrienne fidèle à Bachar el-Assad. Laquelle doit céder à nouveau le nord de la ville après l’avoir repris quelques heures. Les combats continuent, pourtant la coalition anti-Daesh emmenée par les Occidentaux détourne pudiquement le regard.
Elle continue de bombarder avec succès les positions djihadistes face aux Kurdes, hier à Kobané et aujourd’hui à Hassaké, mais Palmyre l’indiffère. Quelques raids aériens bien guidés auraient pu stopper net les colonnes du Djihad. Mais parce que ce sont des alaouites qui résistent à la barbarie, rien ne sera fait.
L’indignation de la communauté internationale est unanime, la directrice générale de l’Unesco Irina Bokova s’active pour sauver Palmyre. Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, a pris les accents des soldats de l’an II sur Europe 1: « Il faut massacrer ces massacreurs et sauver Palmyre ! » Décidément ses camarades font peu de cas de nos racines gréco-latines. La culture n’a pas d’importance quand les « méchants » la défendent. Comme si l’Occident ne parvenait pas à sortir de son manichéisme pour prendre la moins mauvaise des solutions.
Cette indignation stérile s’explique aisément : la bataille de Palmyre remet en cause le dogme de l’alliance tacite entre Bachar et l’EI. C’est le conte que rabâche depuis quatre ans les chantres de « l’opposition syrienne » : Bachar et l’EI sont alliés, ils sont les deux têtes d’une même hydre bicéphale. Tandis que des combats opposent depuis des années les troupes loyalistes aux soldats du califat à Der Ez Zor, à Damas et ailleurs, tout est fait pour minimiser sinon effacer la part que prend l’armée loyaliste dans la lutte contre Daesh.
Une fable qui cède le plus souvent à la facilité complotiste : l’EI est une créature de Bachar el-Assad. Conclusion imparable des derniers rêveurs du Printemps arabe : pour vaincre Daesh, il faut renverser Bachar. Et si, après Palmyre, c’était l’Etat islamique qui renversait Bachar, le maître de Damas serait-il encore coupable ?
Soucieuse de se montrer réactive, la diplomatie française se hâte lentement. Elle a décidé de prendre une initiative bien de chez nous : ses partenaires internationaux, dont John Kerry, sont invités le 2 juin à Paris pour une réunion. Mais que sera Palmyre dans douze jours ? Il suffit d’un ordre pour modifier la trajectoire de nos aéronefs qui bombardent l’EI de l’autre côté de la frontière syrienne. On voudrait enterrer Palmyre discrètement qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Parce qu’on préfère sacrifier un pan entier de notre civilisation plutôt que de donner une victoire à Bachar, rien ne sera fait pour sauver Palmyre. Dans une quinzaine de jours, quand nos diplomates se réuniront au Quai d’Orsay, les ruines fumantes de la ville porteront d’autres stigmates que ceux du temps, ceux de la furie et de l’indifférence des hommes, ceux des duels d’artillerie. Une deuxième fois, et quel que soit le vainqueur, Palmyre sera détruite.
*Hadrien Desuin, ancien élève de l’Ecole spéciale militaire de St-Cyr puis de l’Ecole des officiers de la Gendarmerie nationale, est titulaire d’un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d’Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l’Égypte, réalisé au Centre d’études et de documentation économique, juridique et social (CNRS/MAE) au Caire en 2005. Il collabore à Causeur et Conflits où il suit l’actualité de la diplomatie française dans le monde.