À l’occasion de la sortie de son livre «Maudites», Jeannette Bougrab*, quatre mois après les attentats de janvier, revient sur ces évènements tragiques ainsi que sur son enfance en banlieue.
Quatre mois après les attentats de janvier, a-t-on tiré les enseignements nécessaires de cette tragédie?
Non, depuis les années 80, la France sous-estime la montée et la radicalisation de l’islam. L’affaire du voile de Creil en 1989 a été une première alerte, malheureusement ignorée. A l’époque déjà des intellectuels de gauche, comme Elisabeth Badinter, avaient dénoncé un abandon de la laïcité. Les élites ont préféré se couvrir les yeux plutôt que de prendre la mesure des conséquences désastreuses de l’abandon de notre modèle républicain. La chronologie récente des évènements en France est éloquente: En janvier 2006, un jeune homme du nom d’Ilan Halimi est enlevé, torturé et assassiné par le «gang des barbares», première manifestation d’un antisémitisme renaissant. Le 9 mars 2012, un jeune Français du nom de Mohammed Merah pénètre dans une école. Il tue un enseignant et ses deux enfants ainsi qu’une petite fille. Deux jours auparavant, il avait abattu des militaires revenus d’Afghanistan. Le 24 mai 2012, le Français Mehdi Nemmouche se rend au musée juif à Bruxelles. Il entre muni d’un revolver et tue quatre personnes… Il y aurait déjà dû avoir un avant et un après Merah, un avant et un après Nemmouche. Nous n’avons pas fait notre révolution copernicienne. Les prémisses sont là. J’ai tenté d’alerter à travers des écrits et des conférences sur la gravité du phénomène de radicalisation de jeunes musulmans, pour certains récemment convertis. Mais on a parfois la terrible impression que les gens s’habituent aux violations des droits les plus fondamentaux. Il est intéressant de faire le parallèle avec la décennie noire en Algérie. Dans Gouverner au nom d’Allah, l’écrivain algérien Boualem Sansal rappelle qu’au début, personne ne prenait vraiment au sérieux le phénomène d’islamisation qui était vu comme une sorte de folklore sympathique. Lorsque les Algériens se sont réveillés, c’était le cauchemar. Le conflit a fait 300 000 morts (ndlr: les historiens avancent des chiffres compris entre 60 000 et 150 000 morts). Lorsque nous allons enfin nous réveiller, il sera trop tard.
Quel regard portez-vous sur le 11 janvier? N’y a-t-il pas eu ce jour-là une forme de réveil?
Ce n’est pas parce que 4 millions de personnes ont défilé dans les rues que les choses ont changé. Je ne comprends pas comment le 11 janvier la France a pu bomber le torse et prétendre s’être relevée? Lorsque 12 personnes meurent simplement à cause de leurs dessins et quatre autres parce qu’elles faisaient leurs courses dans une supérette cacher, c’est la preuve d’un terrible échec, le symbole absolu de notre déclin. Sommes-nous aveugles au point de ne pas avoir pris la mesure de la monstruosité des actes? Sommes-nous stupides d’avoir pensé qu’ils ne pourraient pas se reproduire? Nous n’avons toujours pas mesuré la gravité des évènements, le fait que nous sommes entrés en guerre. La violence ne cesse de progresser et j’entends que certains trouvent encore des excuses aux islamistes! Le titre d’un article sur le site de RFI n’était-il pas: «l’enfance malheureuse des frères Kouachi»? … Il faut arrêter la langue de bois. Aujourd’hui, on ne peut plus défendre la laïcité, critiquer ou même simplement évoquer l’islam, sans être taxé de racisme ou d’islamophobie par des mouvements de gauche. Tant qu’on ne prendra pas le recul nécessaire pour dénoncer certains comportements du prophète, on ne pourra arrêter le profond mouvement de régression que connaît le monde musulman depuis l’islam des lumières du XIe siècle. Au Yémen aujourd’hui, on vous explique que l’âge légal du mariage peut être abaissé à neuf ans car Mahomet a lui-même épousé une petite fille de six ans! Sur Youtube, Nada, une petite fille de 11ans que ses parents veulent marier de force lance un appel au monde occidental. En France, on ricane: «Cela concerne la péninsule arabique, pas nous!». Les Français ont tort de penser que ce qui se passe ailleurs ne les concerne pas. Les frères Kouachi sont allés s’entraîner au Yémen, Merah est allé au Pakistan.
A chaque émeute en Seine-Saint-Denis, on organise un concert de rap. Sous couvert d’antiracisme, on a enfermé ces populations dans leur milieu social et culturel. Une partie des enfants d’immigrés aspire à l’excellence alors que les élites, en particulier de gauche, consciemment ou inconsciemment les tirent vers le bas.
Dans votre livre, Maudites, vous revenez sur votre enfance. Vous expliquez qu’à l’époque, habiter dans une cité est une chance, mais qu’aujourd’hui vous ne pourriez plus retourner dans votre quartier en portant une robe sans vous faire agresser. Comme expliquez-vous une telle régression?
Il faut rappeler que mes parents venaient d’Algérie où il n’y avait pas d’eau courante et pas de chauffage. Pour eux, habiter en HLM était un bonheur. Les grands ensembles, tant décriés aujourd’hui, représentaient un progrès social indéniable. Et puis, nous avons collectivement abdiqué. Au nom du communautarisme, nous avons abandonné le modèle républicain. Au nom du différentialisme, l’école a arrêté de jouer son rôle d’assimilation. Pour le dire de manière un peu caricaturale, on a préféré construire des salles de sport en banlieue plutôt que des bibliothèques. Le Comte de Bouderbala, d’origine kabyle, résume ça très bien à travers un sketch où il explique qu’à chaque émeute en Seine-Saint-Denis, on organise un concert de rap. Et d’ironiser sur les fautes de grammaire et de syntaxe des rappeurs. Sous couvert d’antiracisme, on a enfermé ces populations dans leur milieu social et culturel. Une partie des enfants d’immigrés aspire à l’excellence alors que les élites, en particulier de gauche, consciemment ou inconsciemment les tirent vers le bas. On peut le voir aujourd’hui à travers la réforme du collège. Il y a également une part de responsabilité des parents. Les miens ne savaient ni lire ni écrire, mais m’ont inculqué l’amour de l’école. Ils me rappelaient, ainsi qu’à mes frères et sœurs, que nous avions la chance d’être nés en France et que nous avions la responsabilité de nous en sortir.
Diriez-vous que dans un certains quartiers, nous avons accepté une forme de «totalitarisme»?
Il n’y a pas que dans les cités. Dans mon livre, je fais le parallèle avec Stefan Zweig. L’écrivain avait fui son pays natal, l’Autriche, chassé par le nazisme, pour l’Angleterre puis le Brésil. Retraçant la chronologie des évènements de la fin du XIXe siècle jusqu’au début de la seconde guerre mondiale, il montre que le suicide européen était prévisible. Il regrette que les prémisses de la Shoah n’aient pas alerté les gouvernants: «Cela reste une loi inéluctable de l’histoire: elle défend précisément aux contemporains de reconnaître dès leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque.» écrit-il. Ma crainte, pour ne pas dire ma peur, ma terreur est que les prémisses sont là et visibles, ils nous sautent même aux yeux et pourtant nous n’en tirons aucune conséquence.
D’avoir vu Charb abattu par des terroristes tout aussi sanguinaires, faute, pour notre République, d’avoir pris la mesure de la tyrannie des nouveaux terroristes de l’islamisme, et d’avoir été traînée ainsi dans la boue, je ressens la même trahison que celle vécue par papa. J’ai le sentiment d’avoir été rejetée, abandonnée par un pays entier. Je deviens à mon tour un harki.
Est-ce pour cela que vous avez décidé de quitter la France pour la Finlande?
J’ai passé toute ma vie à défendre les valeurs de la France. J’ai mis la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) à feu et à sang pour défendre une petite crèche, Baby Loup, et à travers elle la laïcité. Mon frère est militaire, mon père harki s’est battu pour la France. Mais après les évènements du 11 janvier, je ne pouvais plus rester dans ce pays, c’était une question d’oxygène, de vie ou de mort. Mon père a eu sa famille égorgée par les terroristes du FLN et n’a jamais été remercié par la France pour son engagement auprès d’elle. D’avoir vu Charb abattu par des terroristes tout aussi sanguinaires, faute, pour notre République, d’avoir pris la mesure de la tyrannie des nouveaux terroristes de l’islamisme, et d’avoir été traînée ainsi dans la boue, je ressens la même trahison que celle vécue par papa. J’ai le sentiment d’avoir été rejetée, abandonnée par un pays entier. Je deviens à mon tour un harki.
Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’on a besoin de vous pour mener le combat?
Je suis une femme arabe de culture musulmane, je dénonce l’islamisme et on me le reproche. Une fois, deux fois, trois fois, sur tous les tons, j’ai essayé de dire, d’écrire la menace qui pèse sur nous. Personne n’a voulu m’écouter. On m’a récemment traité de «Dora l’exploratrice» parce que je suis allé au Pakistan et au Yémen pour rencontrer des femmes qui luttent et auxquels je rends hommage dans mon livre. Je ne supporte plus ce ricanement permanent. C’est un manque de respect pour ces jeunes filles qui sont des héroïnes. La gauche morale se fout du sort des Yézidis, de celui de jeunes filles pakistanaises. Elle préfère les intellectuels qui ont défendu Mao et les Khmers rouges tout en devisant sur la résistance au Flore… Dans ces conditions, je me sens libre de quitter le pays un temps pour me ressourcer un peu avec ma fille. Mais je continuerai à me battre de là où je serai.
Les dirigeants français ont-ils capitulé?
J’ai subi les foudres de mon premier ministre pour avoir dit qu’il n’y avait pas de «charia light». Mais je crois qu’on ne peut pas se contenter de critiquer les politiques. Manuel Valls a souvent été courageux sur la question de la laïcité. Malheureusement, il est contesté par sa base. Le monde culturel et intellectuel a également une lourde part de responsabilité. L’alliance rouge-verte symbolisé par le livre d’Edwy Plenel, Pour les musulmans, me gêne beaucoup. Heureusement, il y a quelques résistants comme par exemple Michel Onfray. Mais il se fait injurier lui aussi.
*Jeannette Bougrab est une universitaire française devenue maître des requêtes au Conseil d’État, membre de l’UMP. Elle a été présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) du 16 avril 2010 au 14 novembre 2010, date à laquelle elle est nommée au secrétariat d’État à la Jeunesse et à la Vie associative dans le gouvernement de François Fillon. Son dernier livre vient de paraître aux éditions Albin Michel.