L’une des premières grandes cathédrales gothiques du 12e siècle, Notre-Dame de Paris, est entourée depuis l’incendie d’une nuée d’hypothèses, la plus grande question restant: où et comment le feu s’est-il déclaré? Ce qui ne facilite pas une enquête déjà compliquée par l’impossibilité pour ceux qui la mènent d’accéder à l’intérieur carbonisé du monument.
Les artisans Didier et Anthony Dupuy, spécialisés dans l’installation de protections contre la foudre sur le toit des bâtiments historiques, ont travaillé au sommet de la cathédrale en 2013 et se sentent particulièrement perplexes face à l’ampleur de l’incendie. Ils se demandent comment le bois de la charpente, «dur comme de la pierre, vieux de plusieurs siècles» a pu être détruit ainsi, alors qu’il faut «une source d’énergie hors norme pour [l’]embraser». Mais ils ne sont pas les seuls à se poser des questions.
La fièvre de témoignages et hypothèses va se tarir, du moins auprès des architectes des monuments historiques qui ont été nombreux à donner leur opinion, après qu’il a été requis qu’ils coordonnent leurs entretiens avec le cabinet du ministre de la Culture.
Avant que de nouvelles théories n’émergent, voici un aperçu de celles existantes, ainsi que des informations officielles.
Défaillance électrique, bug informatique?
Une fois les murs de la cathédrale refroidis, les enquêteurs ont avancé l’hypothèse selon laquelle un court-circuit électrique pouvait avoir provoqué l’incendie, a indiqué à l’agence AP un responsable de la police judiciaire. Selon l’adjudant-chef Jérôme Demay, «le feu est né à la base de la flèche, au niveau des échafaudages installés pour la rénovation, dans la charpente».
La chaîne CNN, après consultation d’une source policière, constate elle aussi que l’incendie aurait pu avoir éclaté à la base de la flèche. Larguer de l’eau depuis les airs a été impossible, car présentant le risque de détruire ce qu’il restait de la structure de l’édifice.
Une semaine après l’incendie, cette thèse est toujours privilégiée par les enquêteurs ayant analysé les données visuelles et auditionné des dizaines d’ouvriers, agents de sécurité, architectes et témoins possiblement impliqués dans le drame.
Une autre théorie est née via le recteur de la cathédrale, monseigneur Patrick Chauvet: selon lui, le feu pouvait être dû à un «un bug informatique», sans qu’il ne donne cependant de précisions. Cependant, cette thèse a vite été écartée, selon le JDD.
Acte volontaire ou involontaire?
Au lendemain de l’incendie, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a déclaré que la piste accidentelle était privilégiée. Selon cette version, le départ de feu se trouvait au niveau de la charpente «en lien avec les travaux en cours d’exécution», «rien n’allant» dans le sens d’un acte volontaire.
Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour «destruction involontaire par incendie». La saisine de la brigade criminelle s’explique par la nécessité de se doter de moyens techniques afin de mener l’investigation, a expliqué le procureur.
Mais, bien que deux jours après l’incendie un groupe d’enquêteurs ait procédé à une première évaluation de l’état des lieux dans le bâtiment sinistré, il n’était —et n’est encore- pas sûr d’opérer à l’intérieur. En fin de semaine, les éléments indispensables à l’enquête n’ont toujours pas été récoltés, dans l’attente de la sécurisation de la cathédrale.
Tandis qu’une investigation assez longue s’annonce, les enquêteurs comptent déterminer au mètre près le lieu du départ de feu. Selon les derniers éléments, l’hypothèse criminelle est «définitivement écartée», indique le JDD.
Pour la tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes, il faut toujours se réserver le droit de «se poser des questions». La principale de Jordan Bardella se résume à savoir si «c’était un accident» ou «quelque chose de volontaire».
Les doutes du chef de parti de Debout la France semblent aussi persister. Insistant sur la nécessité de déterminer s’il s’agissait d’«un accident ou [d’]un attentat», Nicolas Dupont-Aignan a essuyé les critiques de Christophe Castaner qui a fustigé le «complotisme» dont certains faisaient preuve.
Pourtant, des vidéos de certains freerunners français permettent de conclure que le monument n’était pas si inaccessible que cela à ceux souhaitant l’escalader. Parmi eux, un certain Simon Nogueira, dont l’une des vidéos est intitulée Avis d’architectes
Nombreux ont été les architectes, historiens, chefs d’entreprises et personnages officiels à exprimer leur avis professionnel sur ce qui est survenu.
Persuadé qu’il est «quasiment impossible» de reconstruire Notre-Dame à l’identique, l’architecte Benjamin Mouton a affirmé être «stupéfait» par la façon dont le bois a brûlé.
«En 40 ans d’expérience, je n’ai jamais connu un incendie de la sorte», a confié cet architecte en chef des Monuments historiques, qui a été en charge de la cathédrale Notre-Dame de 2000 à 2013, précisant que ce type de bois ne brûlait pas comme ça.
Selon lui, «l’incendie n’a pas pu partir d’un court-circuit, d’un simple incident ponctuel. Il faut une vraie charge calorifique au départ pour lancer un tel sinistre. Le chêne est un bois particulièrement résistant.»
Philippe Villeneuve, architecte en chef chargé des travaux à Notre-Dame, ne privilégie pas la théorie d’un point chaud puisque «les travaux n’avaient pas encore débuté, seuls les échafaudages étaient en cours de montage».
Quid des travaux de rénovation?
Les travaux censés faire renaître la cathédrale et la flèche ont démarré en août 2018. L’enquête, confiée à la Direction régionale de la police judiciaire (DPRJ), devrait maintenant se pencher surtout sur ces travaux qui pourraient être à l’origine du départ de feu.
Au mois d’avril 2019, les rénovations se sont focalisées sur le remplacement du plomb de la toiture et des statues de Notre-Dame. Le 11 avril en particulier, plusieurs statues, chacune de quelque 250 kg, ont été enlevées par la voie des airs pour être restaurées.
En tout, les opérations étaient prévues pour durer dix ans pour le moins, pour un coût total d’environ 60 millions d’euros.
Au début de l’incendie, aucun des travaux sur la charpente n’avait encore commencé, ni électriques ni autres, a déclaré le groupe Le Bras Frères, qui montait l’échafaudage autour de la flèche, excluant «toute responsabilité».
Les salariés qui étaient présents sur le site le jour de l’incendie, 12 au total, ont confirmé «qu’il n’y avait pas de point chaud sur l’échafaudage» et n’avoir effectué «aucun travail de soudure», selon le porte-parole de l’entreprise.
En quittant un chantier il faut «couper toute l’électricité, le disjoncteur du chantier, fermer la porte à clef et remettre les clefs à la sacristie de la cathédrale», a-t-il précisé, et tout cela «a été fait et dûment noté dans les cahiers».
Aucun des salariés de la société n’était présent sur le site, que ce soit au moment du déclenchement de l’incendie ou même avant, a fait remarquer Julien Le Bras.
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