Une femme devenue homme, mais qui a cependant gardé ses organes reproducteurs féminins, vient d’accoucher d’un bébé dont elle ne veut pas dire le sexe («trop assignatif, il choisira quand il sera plus grand»), mais exige de lui qu’elle l’appelle papa.
Les documents administratifs prévoiront-ils une rubrique particulière pour ceux qui sont à la fois, comme elle (ou lui, on ne sait plus trop), parent 1 et parent 2? On poserait utilement la question aux membres du conseil municipal de Paris qui ont, à l’unanimité, émis le vœu appelant à substituer, pour tous, aux termes de père et mère les mentions de parent 1 et de parent 2. Une unanimité, en telle masse, n’est-elle pas de nature à nous éveiller fortement, alors que les réunions des élus de Paris donnent lieu habituellement à des foires d’empoigne systématiques, voire d’insultes, relatives à des sujets bien plus insignifiants? Ce «vœu», qui n’a rencontré aucune objection, a été proposé par une militante de la France insoumise afin de protéger de l’inégalité les couples homoparentaux victimes d’une «rupture d’égalité devant l’administration».
La Ville de Paris veut donc changer, «le plus rapidement possible», selon le premier adjoint de la maire Anne Hidalgo, ses formulaires de demandes d’actes d’État civil. «Père» et «mère» disparaîtront donc de cet acte qui codifie notre identité pour laisser la place à «parent 1» et ««parent 2». Ce vœu est jugé indispensable pour mettre fin à une discrimination envers les couples homosexuels, qui représentent désormais un peu plus de 3 % des unions en France, selon l’Insee. Par ailleurs, quel est le chiffrage et la case envisagée en cas de parent seul? Parent 0?
Nous nous émerveillerons du tour de force de l’ambivalence infantile qui parvient d’un même geste à radier soit les pères, soit les mères, à les neutraliser, et à faire réapparaître les parents numérotés, ce qui sied mieux à notre société numérisée.
On humera discrètement le léger parfum patricide et matricide qui émane de ce passage à l’acte administratif.
Nous prendrons acte du fait que la novlangue bioéthique, qui donnait jusque-là dans la guimauve («don», «générosité», «altruisme», etc.) se durcit dans une sécheresse chiffrée, qu’elle assume sans états d’âme. À l’unanimité. Au pas: 1-2, 1-2, 1-2, 1-2…
Nous admirerons la volonté, audacieuse et risquée, d’instituer en destituant.
On institue une nouvelle hiérarchie, chiffrée, autrement discriminante et qui n’en sera pas moins source de conflit dans la réalité.
Nous pourrons nous étonner enfin du caractère anti-démocratique des fanatiques de l’égalité, l’égalité dédifférenciante, l’égalité confondue avec l’indifférenciation et la massification, qui conduit à imposer que l’État civil de tous les enfants puisse être modifié afin de satisfaire les revendications d’une minorité activiste. Curieux déni de démocratie au nom de droits pour tous se conjuguant à cette poussée totalisante et totalitaire.
Et nous ne manquerons pas non plus d’ouvrir le parapluie pour nous protéger des accusations d’homophobie, de passéisme ou de conservatisme.
Last but not least, nous suggérerons afin de parfaire les opérations supposées nous délivrer du passé oppressant, de numéroter aussi les enfants, le choix des prénoms et de leur sexe étant dévolus à leur seule volonté. Les enfants 1, 2, 3… disposeront ainsi d’une liberté plus grande qui les délivrera de l’odieux joug parental.
Mais il y a plus, et mieux: nous ne manquerons pas de nous émerveiller du génie de l’inconscient pour révéler ce qu’il est chargé de masquer. En effet, ceux qui ont promu cette disposition croient-ils vraiment se débarrasser de la différenciation qui les encombre? Ils ne font qu’instituer une nouvelle hiérarchie, chiffrée, autrement discriminante et qui n’en sera pas moins source de conflit dans la réalité. Toutes les tentatives pour effacer les différences signifiantes font retour dans d’autres différences, c’est un fait d’expérience clinique et politique.
À ceux qui pensent que cela ne concernerait que les couples de même sexe et les parents seuls, on objectera que tout un chacun devra se plier à cette novlangue mathématisée. Tout ceci pourrait prêter à rire si ce n’était le psychisme de tous qui ne manquerait pas d’être affecté par ces décrets émancipatifs. Des générations naîtront dans ces mots, qui enseignent que dans l’acte même d’institution de la naissance et de l’identité on peut plier la réalité à nos rêves, au nom de la Loi. Que vont devenir ces générations?(…)