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Francis Bergeron publie une nouvelle biographie dans la célèbre collection « Qui suis-je ? » des éditions Pardès. Il s’attaque cette fois à Léon Degrelle, qui fut, dans les années trente, le sulfureux chef du parti politique belge Rex et qui combattit ensuite les bolcheviques, mais sous l’uniforme allemand. Un personnage controversé – en tout cas en Belgique – mais tout à fait passionnant. Et dont le destin extraordinaire raconte l’époque, dans sa complexité.
— On vous connaît notamment pour vos travaux sur le dessinateur Hergé. Et pour vos livres pour enfants. Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à Léon Degrelle ?
— Mais par Hergé, précisément ! Ou plus exactement par Tintin. Hergé et Degrelle étaient très liés, quand ils étaient jeunes journalistes au quotidien catholique de Bruxelles Le XXe siècle. Et mes deux livres sur Hergé, celui paru dans la collection « Qui suis-je ? » et Hergé, le voyageur immobile, que Présent avait pré-publié en feuilleton durant l’été 2015, ont suscité une vive mais émulatrice polémique sur le thème suivant : Hergé s’est-il inspiré de Léon Degrelle pour créer son héros Tintin ?
Et il se trouve qu’en parallèle, l’éditeur de la collection cherchait un auteur pour reprendre le projet à peine esquissé par l’historien et journaliste Jean-Claude Valla de réaliser cette biographie de Degrelle, juste avant que la maladie ne l’enlève à notre affection. Valla se passionnait pour les aspérités de la Seconde Guerre mondiale. Il nous aurait sans doute donné une étude passionnante sur cette personnalité « abrasive ». J’ai donc fini par sauter le pas, malgré les spécificités belges de ce destin. Et malgré les réticences, pour ne pas dire l’hostilité, à l’égard de l’aventure rexiste, exprimées par deux grandes figures intellectuelles belges que j’ai beaucoup admirées et beaucoup lues : Robert Poulet et Pol Vandromme.
— Alors, Tintin, c’est Léon Degrelle ?
— Hergé trouvait son inspiration en regardant autour de lui. D’autant qu’il était, comme je l’ai écrit ailleurs, un « voyageur immobile ». Il est bien évident qu’il s’est inspiré de ce jeune reporter catholique, drôle, courageux, extraverti, qui avait son bureau à côté du sien, et qui part à l’aventure, à l’âge de 23 ans, chez les Cristeros du Mexique.
Hergé a été fasciné par Degrelle. Il l’a dit. Les deux hommes ont longtemps été très liés, c’est un fait. Mais Tintin, c’est aussi le frère de Hergé, Paul Remi, et aussi – pourquoi pas ? – ce jeune journaliste et sportif Robert Sexé, qui parcourait l’Europe des années vingt sur sa moto. J’ai évoqué cette piste, assez crédible, par ailleurs, pour faire gentiment enrager les degrellomanes qui ne supportent pas qu’on puisse émettre la moindre nuance sur l’identification de Degrelle à Tintin. Dans l’acte de création du romancier (et Tintin, ce sont des romans dessinés), les influences et inspirations sont évolutives. Degrelle fut l’une des sources d’inspiration, mais certainement pas la seule.
Je crois surtout que Tintin, c’est Hergé lui-même. Hergé tel qu’il aurait voulu être : ce caractère chevaleresque hérité de son éducation, du scoutisme et de l’excellente influence du bon abbé Norbert Wallez.
— Revenons à l’histoire de Degrelle. Cet homme d’exception, tour à tour journaliste catholique, homme politique anti-système et guerrier, peut-il parler à des Français ?
— En fait, Degrelle est sans doute plus populaire en France qu’en Belgique. D’abord parce que, dès 1936, une légende s’est construite, ici, autour de lui, grâce au petit livre que Robert Brasillach lui a consacré en 1936 (Léon Degrelle et l’avenir de « REX »). Et aussi parce que, vu de loin, il est plus facile de ne retenir du personnage que ce qui en a fait la grandeur et l’originalité : sa faconde, son charisme, son dynamisme, son énergie vitale, le courage physique extraordinaire qu’il a montré sur le front de l’Est. J’ajouterais encore qu’il était beau et charmeur. Que ce fut un excellent écrivain et journaliste : ses livres La Cohue de 1940, La Guerre en prison, La Campagne de Russie, sont tout simplement remarquables. Et puis, Degrelle a survécu à la guerre et à l’épuration. Il avait vécu quinze ans comme un lion, il s’est fait ensuite « le metteur en scène de sa propre gloire » pendant cinquante ans (il est mort en 1994), selon le mot de Jean-Claude Valla.
— A l’heure du bilan, que penser de Degrelle ? Faut-il le donner en exemple ou, à partir de l’analyse de son évolution personnelle, mettre en garde contre les tentations totalitaires qui peuvent saisir les meilleurs ?
— Je ne dirais pas qu’il y a plusieurs Degrelle, mais il est certain qu’il y a eu plusieurs périodes dans la vie de Degrelle, et qu’il fut tour à tour admirable ou condamnable. Jusqu’en 1936, le militant catholique est absolument génial. Quel meneur d’hommes ! Quel orateur ! Quels talents accumulés sur une seule tête ! Mais l’échec politique qui a suivi lui doit tout, aussi. Le combattant du front de l’Est fut également extraordinaire. A qui le comparer ? A Ernst Junger ? Au colonel Driant ? A l’aviateur Pierre Clostermann ? Il fait partie de la toute petite cohorte des plus grands guerriers de tous les temps. Mais cette absence totale d’esprit critique à l’égard des dirigeants du IIIe Reich c’est, à juste titre, ce que lui reprochaient un Poulet ou un Pol Vandromme.
Camille Galic, dans Rivarol, lors de son décès, avait bien résumé le personnage : « Tout compte fait, il a réussi sa vie, parce qu’il a fait ce qu’à tort ou à raison, il a estimé devoir faire. Le jour du Jugement dernier, Degrelle (…) se présentera devant saint Pierre, la Ritterkreuz au cou et la conscience (l’inconscience, jugeront certains) limpide. »
Degrelle est originaire de la toute petite ville des Ardennes belges appelée Bouillon. Pour ma part, avec le recul du temps, et en faisant donc abstraction des scories de l’histoire contemporaine, je le comparerais volontiers à ce Godefroy, le croisé mythique de Bouillon. Et oubliant les détails, les échecs, les vantardises et les petitesses, je ferais volontiers mien ce jugement de Jean-Marie Le Pen (1992) : « C’est un monument de la Seconde Guerre mondiale. C’est un personnage historique tout à fait extraordinaire. »
Propos recueillis par Samuel Martin pour Présent
Degrelle, par Francis Bergeron, 128 p., nombreuses illustr., éd. Pardès, 2016, 12 euros.