Expo / Musée Jacquemart-André / Fêtes galantes / De Watteau à Fragonard

 Par Samuel

Fêtes galantes, ces deux mots définissent un genre pictural inférieur dans la hiérarchie des arts, mais en vogue tout au long du XVIIIe siècle. L’étiquette est vague mais expressive. Les fêtes galantes sont une transformation des scènes de genre vénitiennes et flamandes. La France leur donne un cachet aristocratique appuyé, susceptible de flatter les amateurs nobles autant que bourgeois.

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C’est avec Antoine Watteau (1684-1721) que naît le genre. Watteau est un homme malade qui mourra à 37 ans, un mélancolique inapte à l’amour et à l’amitié, un instable… Bref un artiste sans bonheur à qui les termes « fête » et « galanterie » ne correspondaient pas. Au-delà des sujets, il a fait éclore dans ses tableaux tout un monde intime et touchant, avec une pudeur presque maladive.

Pierrot content… Bien malin qui pourrait dire en quoi il l’est. Ce personnage costumé n’est-il pas incongru, entouré de deux couples ? Il manifeste son contentement par l’immobilité. Assurément son contentement n’est pas vulgaire. Avec La proposition embarrassante, Watteau met à nouveau en scène cinq personnages, mais dans une composition plus complexe. Rien de galant dans cette complexité, ni de cru : plutôt une rêverie.

Lancret et Pater

Sur les pas de Watteau, et de la même génération que lui, s’engouffrent Jean-Baptiste Pater (1695-1736) et Nicolas Lancret (1690-1743). Watteau connut les deux, se brouilla avec les deux. Mais, pris de remords alors qu’il était malade et mourant, il fit venir Pater près de lui et mit à profit ses dernières journées en donnant quelques cours à ce piètre imitateur. Les figures sont là, le paysage aussi, mais le pincement au cœur propre à Watteau ?

Nicolas Lancret est plus personnel. Il ne s’entête pas à faire de la fête galante façon Watteau. Il varie les situations, s’essaye au pique-nique. Le repas au retour de la chasse, tout en couleurs froides, en légèreté, ne manque pas de grâce, surtout à côté d’un Déjeuner de chasse de François Lemoyne particulièrement pisseux.

La différence majeure de Lancret par rapport à Watteau, et ce qui l’en distingue irrémédiablement, est l’absence de mystère. Cette jeune compagnie déjeune, s’adresse la parole au vu et au su du spectateur ; alors que les personnages de Watteau ne sont jamais occupés à quelque chose de précis et ne mettent jamais le spectateur dans la confidence : la Proposition embarrassante, qui pourrait dire quelle elle est ?

(Une autre particularité de Lancret est que les figures accumulées dans un tableau semblent dessinées d’après un même modèle. Dans Le déjeuner de jambon qui est au musée de Chantilly, le même gros homme se démultiplie ; dans ce Repas au retour de la chasse, un unique gandin joue cinq ou six rôles. Ce fait est sans doute d’ordre économique, le peintre rentabilisant son tableau en faisant poser le moins de gens possible.)

Boucher et Fragonard

François Boucher (1703-1770) est un élève de Watteau par la bande. Il est encore un jeune artiste lorsque Jean de Jullienne l’intègre au groupe de graveurs embauchés pour graver l’œuvre de Watteau. Cette immersion dans le monde de Watteau marqua durablement Boucher, plus sur le plan technique que dans l’esprit. Boucher développera mainte galanterie érotique sans rapport avec l’atmosphère de Watteau. Qui plus est, il dépréciera son talent par une production abondante et peinte de chic, dont on a un échantillon ici.

C’est dans la petite salle 6 qu’on trouvera un Boucher tout à fait charmant, une chinoiserie : La pêche chinoise (musée Boijmans van Beuningen, Rotterdam). Ce petit tableau peint dans une gamme froide et fraîche est aussi irréel que gracieux. Il est exposé à côté de deux projets, en petit, de chinoiseries de Watteau, un musicien et une femme.

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), ses dates le disent, est d’un autre temps que Watteau et Boucher, mais élève du second il est marqué par l’art du premier. Son art est plus consistant, plus rapide. Deux esquisses (La poursuiteLa surprise), une toile achevée comme Le jeu de la main chaude montrent – malgré toutes leurs qualités – que l’art de Watteau est resté une fragrance unique dans la peinture française.

• De Watteau à Fragonard – Les fêtes galantesJusqu’au 21 juillet 2014, musée Jacquemart-André.

Lu dans Présent

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