Les abysses du mal (Vidéo)

Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance d’interroger un auteur de romans noirs publié chez Albin Michel. Très amateur de thrillers, j’en ai profité pour le torturer. Nos lecteurs connaissent bien Marc Charuel comme journaliste, ancien photographe de guerre et écrivain, mais savent-ils qu’il a rapporté de ses théâtres d’opération et de ses nuits d’insomnie le mal absolu ? Et qu’il en a fait un livre. A mi-chemin entre Bernard Minier et Jean-Christophe Grangé. En… pire !

 

— Les snuff movies (NDLR : vidéos montrant la mort en direct) qui constituent la toile de fond de votre roman, sont-ils selon vous une réalité ou bien sont-ils à ranger dans le domaine des légendes urbaines et des rumeurs circulant sur internet ?

— Personnellement, comme de nombreux policiers français et étrangers qui ont enquêté sur le sujet, je crois que les snuff movies ont été, à un moment donné, une réalité. Entre les années 60 et 90. Reste qu’aucune preuve de leur existence n’a jamais été apportée par quiconque et c’est cela le plus extraordinaire. Jamais les enquêteurs n’ont mis la main sur des films, des vendeurs ou des clients. En revanche, ils ont découvert beaucoup de victimes et ce sont les circonstances de leur enlèvement et de leur mort qui ont accrédité l’existence des snuff movies. Maintenant, je suis convaincu que si ces snuff movies ont un jour existé, l’arrivée du numérique et de sites pornographiques extrêmement durs en aura précipité la fin.

— Vous êtes journaliste, vos livres sont toujours fouillés et documentés, avez-vous déjà été amené à enquêter sur le dark net et plus particulièrement sur les snuff movies ?

— J’ai eu l’occasion de consulter des pages du darknet, grâce à un confrère qui travaillait dessus. J’ai pu voir des sites proposant des armes, de la drogue et des faux papiers. Mais rien qui concerne de près ou de loin les snuff movies et pour les raisons que je viens de vous exposer. En supposant que cela ait existé, c’est terminé. N’oubliez pas que Les Abysses du mal est d’abord un roman…

— Avec internet, la tendance est au voyeurisme et au développement de la diffusion de ce genre de films. On pense évidemment aux images de tortures, d’exécution d’otages et de décapitations de Daesh. Néanmoins vous dites que leur production n’obéit pas à la même logique. C’est-à-dire ?

— Ce qu’on peut visionner en quelques clics sur le Web, pour horrible que ce soit, n’a absolument rien à voir avec ce qu’ont dû être les snuff movies dont les scénarios reposaient sur des meurtres à caractère sexuel. Ce que ne fait pas (encore) Daesh !

— Votre livre soulève aussi la question du danger des réseaux sociaux, plusieurs des jeunes victimes sont piégées par un « ami » virtuel qui leur veut du mal. Comment protéger les jeunes de ce risque-là ?

— Le problème des réseaux sociaux est l’anonymat toujours possible de l’internaute. Il me semble que si l’accès à ceux-ci était strictement réglementé, cela réduirait considérablement les risques. Aujourd’hui, on ne peut retrouver une personne que par l’adresse IP de son ordinateur. Autant dire : pratiquement rien. On devrait pouvoir imaginer que chaque accès à internet crée une sorte de signature. Ce qui réduirait de manière importante les velléités d’utilisation criminelle ou simplement délictuelle du Web.

— Il y a un portrait de père très attachant dans votre livre, celui de Tuan. Un « chien de guerre » comme vous les affectionnez, qui vit encore dans le traumatisme du passé, qui surprotège sa fille et qui se prépare à la guerre de demain. Est-ce qu’il y a du Marc Charuel dans ce héros torturé ?

— Peut-être inconsciemment. Pour une partie seulement. Je ne peux quand même pas vous dire que je m’identifie complètement à un type paranoïaque au dernier degré. Mais c’est vrai que, pour construire ce personnage, je suis allé, un tout petit peu, puiser très loin au fond de ma mémoire.

— Vos références sont omniprésentes et particulièrement intéressantes pour le lecteur, avec Tuan mais aussi sa fille Sandra, qui veut partir pour le Viêt-Nam sur les traces de son grand-père rescapé de la guerre d’Indochine. Pourquoi cette affection et cette fascination pour ces pays et ce peuple ?

— J’ai été profondément marqué par ce que j’ai vécu au Viêt-Nam alors que je couvrais la fin de la guerre, au cours de l’hiver 1974. Lorsqu’il m’a été possible d’y retourner, c’est-à-dire quinze ans plus tard, j’y suis allé régulièrement chaque année, parfois plusieurs fois. Au fil du temps, j’ai reporté mon attention sur la période française, la colonisation et sa fin brutale et tragique. J’ai rencontré et interviewé des centaines de témoins, ici et là-bas. C’est une aventure humaine qui me passionne et m’habite en permanence.

— La toute dernière phrase du livre m’a intriguée. Il ne s’agit pas de la dévoiler évidemment. Est-ce que d’une façon ou d’une autre, le mal triomphe toujours ?

— Je crois sincèrement que le monde est guidé par le Mal. C’est dans la nature première de l’homme. Ce qui rend d’ailleurs d’autant plus extraordinaire les personnalités de ceux qui, à l’inverse, consacrent leur vie au Bien. Maintenant, j’écris des romans noirs. On ne s’attend pas tout de même à une happy end. Cela dit, j’aurais pu faire plus sombre encore, si mon éditeur ne m’avait pas convaincu de laisser filer une petite note d’espoir à la fin.

 

Caroline Parmentier pour Présent

Marc Charuel, Les Abysses du mal, Albin Michel, 21,50 euros.

 

Résumé éditeur

Mon boulot : filmer le supplice des victimes avant de faire disparaître leur corps. Mon but : être le tueur le plus inventif.
Parce que la mort est un spectacle, certains sont prêts à payer très cher pour y assister. Voyeurs protégés par un écran, tortionnaires par procuration…
C’est la face cachée du Net. Un monde parallèle qui happe ses proies au hasard et fournit des frissons à prix d’or.

Des réseaux sociaux incontrôlables aux mafias spécialisées dans le marché de la mort en direct, le nouveau thriller de l’auteur du Jour où tu dois mourir dévoile les forces insoupçonnées de la perversion humaine.

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