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Notre empreinte écologique est exponentielle : plus de 80 % de la surface émergée de la planète est sous influence humaine directe. Cette surexploitation de l’écosystème engendre des bouleversements naturels : hausse de la température du globe, appauvrissement de la couche d’ozone, acidification des océans, épuisement des sols et des sous-sols. Nos sociétés sont transformées en sociétés du déchet.
Exposer les manières dont nos sociétés produisent, traitent, s’approprient et transforment les restes, apparait comme un enjeu central pour le musée de société qu’est le Mucem.
L’exposition Vies d’ordures. De l’économie des déchets invite à un voyage autour de la Méditerranée, à la découverte des paysages, des technologies, des objets recyclés ou de deuxième vie, et surtout à la rencontre des hommes et des femmes qui gèrent nos déchets, en vivent et souvent les subissent. Il s’agit d’interroger leurs savoir-faire, leurs conditions de vie, les rapports sociaux et les conflits dans lesquels ils sont pris.
Basée sur des enquêtes ethnographiques réalisées en Turquie, en Albanie, en Egypte, en Italie, en Tunisie, au Maroc ou dans le Sud-est de la France (Marseille et sa métropole), cette exposition a pour but de sensibiliser le public à la gestion individuelle et collective des déchets en montrant les façons dont nous les collectons, les trions, les réparons, les transformons, avec l’inventivité de la nécessité. Par les détournements ou par les traitements de
haute-technologie dont ils font l’objet, les déchets donnent forme à nos paysages et à nos relations sociales.
Le parcours permet de s’interroger sur nos modes de vie, nos modèles de consommation et de production grâce à plus de 450 objets, documents, installations, films, cartes et schémas issus des collections du Mucem et des
musées d’ethnographie comme le musée du Quai Branly ou le musée de Guatelli dans la région de Parme et surtout en s’appuyant sur les documents issus des campagnes d’enquêtes collectes 1 initiées par le Mucem depuis
2014. Des dispositifs pédagogiques ont également été spécialement conçus pour les besoins de l’exposition : cartes, tableaux de classification des déchets, maquettes.
Entretien avec Denis Chevallier, commissaire général de l’exposition
« Cette documentation originale constitue le cœur de l’exposition : près de 50 % des objets et documents présentés sont issus d’enquêtes-collectes. »
Pourquoi le Mucem a-t-il choisi d’aborder la question de l’économie des déchets pour cette nouvelle exposition ?
A travers les déchets, il s’agit de questionner nos modes de vie, nos modèles de consommation et de production. Un musée de société comme le Mucem peut, à sa manière et à son niveau, jouer un rôle dans la cité. Avec cette exposition nous aimerions que le visiteur ressorte un peu plus conscient que des actes aussi quotidiens et banals que consommer et jeter ont des conséquences sur la planète et donc pour nous tous.
L’exposition Vies d’ordures. De l’économie des déchets a la particularité de présenter un grand nombre d’objets acquis récemment par le Mucem dans le cadre de campagnes d’enquêtes-collectes…
Pendant trois ans, grâce à un travail d’équipe, nous avons constitué une documentation de première main sur les manières dont, autour de la Méditerranée, les déchets sont collectés, transformés, traités. Des équipes associant chercheurs et vidéastes/photographes ont effectué des enquêtes à Casablanca, Naples, Marseille, Tirana, Istanbul, Le Caire et Tunis, d’où nous avons pu rapporter objets, témoignages, images et enregistrements. Cette documentation originale constitue le cœur de l’exposition : près de 50 % des objets et documents présentés sont issus d’enquêtes-collectes.
Un musée n’est pas seulement un lieu de restitution. C’est aussi un lieu de fabrication d’un savoir. Aller chercher un objet là où il a été produit et utilisé permet de recueillir des informations sur son contexte de fabrication, de circulation ou d’usage. C’est à cette seule condition que cet objet pourra nous aider à comprendre les sociétés, les cultures ; ce qui est bien la mission principale d’un musée de société.
Que montrez-vous dans cette exposition ? Comment s’organise t-elle ?
Le visiteur constatera d’abord que les déchets sont partout. L’autopsie de la poubelle-monde à laquelle nous nous livrons en introduction dévoilera la part cachée, maudite peut-être, de nos modes de vie. Ce que l’on ne veut pas voir et qui pourtant est bien là et s’impose à nous.
Dans la partie suivante on se demandera comment on en est arrivé là : en effet, une telle quantité de déchets avec de tels impacts sur l’environnement, c’est une affaire récente. Disons que nos grands-parents, nos arrières grands-parents, n’avaient sûrement pas la même appréhension du déchet que nous, car il y en avait beaucoup moins. Pour montrer cela, nous effectuerons un petit retour en arrière, grâce aux collections d’ethnographie, dans le monde qui précède la société de consommation ; cette période qui commence avec la diffusion massive du plastique et qui correspond à la multiplication des emballages et au règne du « tout jetable ». On montrera ici des objets assez insolites, parce qu’ils arborent cicatrices et réparations, pour dire qu’avant le « tout jetable », on réparait beaucoup. A coté, on exposera des emballages plastiques pour évoquer la société de consommation.
La troisième section de l’exposition s’organise à partir de gestes simples : « ramasser, collecter, transporter, stocker, trier »…
Des gestes que nous illustrons à travers quelques objets et vidéos révélant les différents mode de traitement des déchets dans les villes étudiées : c’est dans cette section, par exemple, qu’est présenté le fameux triporteur du Caire, ou encore une spectaculaire machine de tri optique prêtée par l’entreprise Pellenc ST 3. L’acte du tri est central car c’est lui qui va donner de la valeur à ces déchets : à partir du moment où ceux-ci sont triés, ils deviennent des matières premières secondaires. Balles de carton, de plastique ou d’aluminium ont une valeur fixée par des cours mondiaux. Ils sont l’objet d’un commerce relativement important et lucratif, compte tenu des quantités énormes que tout cela représente.
Dans la section suivante, nous donnons des exemples de réemploi et de recyclage. Nous verrons par exemple, comment un pneu usagé peut devenir un seau, ou comment des cannettes sont transformées en lingots d’aluminium. Dans certaines régions de Méditerranée, le réemploi a pris une ampleur considérable ; c’est le cas du secteur de la fripe en Tunisie, qui sera présenté dans une sorte de tente conçue avec des fripes qui nous sont fournies par l’un des nombreux partenaires de cette exposition : la communauté d’Emmaüs de la Pointe Rouge.
La part des déchets réemployés ou recyclés reste toutefois encore relativement faible…
En effet, cela concerne au maximum 20 % de ce qu’on jette. Le reste, qu’est ce qu’on en fait ? On le transporte vers un lieu où il sera soit enfoui, une décharge, soit brulé, un incinérateur. Nous présenterons par exemple une maquette de l’usine de traitement des déchets du territoire de Marseille-Provence qui se trouve à Fos sur Mer. L’exposition va aussi mettre le doigt sur les controverses, les conséquences de mauvaises gestions qui ont parfois des origines criminelles. Autour de la Méditerranée, les scandales associés aux déchets ne manquent pas : on parlera de Naples, de Beyrouth, des calanques… Mais l’idée que nous voudrions surtout faire passer, c’est que le meilleur déchet c’est celui que l’on ne produit pas. Et qu’il nous faut donc changer nos modes de vie… Moins gaspiller (plus du tiers de la nourriture finit dans une poubelle !), transformer nos restes en compost, inciter les fabricants à faire des objets réparables, etc.
Nous aurons à la fin de l’exposition un dispositif qui permettra à chaque visiteur de faire des propositions : car nous pensons en effet que chacun peut contribuer à son niveau à faire en sorte que notre planète ne devienne pas totalement inhabitable.