Jusqu’à récemment, les cultureux ne savaient par quel bout prendre la révolte identitaire des Gilets jaunes première manière. Ils avaient, en fait, le plus grand mépris pour ces franchouillards attachés à leur portion de rond-point mais surtout à leurs traditions et à la conservation du patrimoine, et qui n’avaient pas jugé bon de faire figurer la Kultur dans leurs revendications. Mais en même temps, comme leurs copains de la CGT, ils ne voulaient laisser passer le train de l’histoire. Les habitués du Festival de Cannes, les pétitionnaires acharnés ou les idiots utiles qui se pâment devant les barbouillages de Jean-Michel Basquiat ou les homards de Jeff Koons ont donc commencé à regarder d’un œil protecteur ces satanés Gilets jaunes qui, depuis maintenant plus de trois mois, ont bouleversé le paysage politique de notre pays. Ils ont surtout béni Macron quand il a décidé de construire cette véritable usine à gaz qu’est le grand débat national.
Le GDN, une belle aubaine
Et puis, le miracle s’est produit. Le très BCBG Beaux Arts Magazine et la vénérable Fondation du patrimoine viennent d’annoncer qu’ils prenaient part au grand débat. Certes, cela part d’un bon sentiment et l’on ne peut qu’être d’accord avec Guillaume Poitrinal, président de cette Fondation, quand il déclare : « La culture et le patrimoine sont au cœur des débats d’aujourd’hui. Partout en France, en rouvrant les petits musées, en sauvant les moulins, les lavoirs, les théâtres, on crée de l’emploi et de l’activité dans les zones rurales et les centres-bourgs. Il faut cesser de négliger cet immense patrimoine qui, bien loin des capitales, donne fierté et intérêt à la France des territoires. » Il y a, en effet, beaucoup à dire et surtout à proposer dans la défense de notre patrimoine pour une vraie politique culturelle au service des valeurs fondamentales de notre civilisation.
Une sacrée récupération
Mais l’annonce conjointe d’un débat « culture » par ces deux fleurons du patrimoine – à noter que le propriétaire de Beaux Arts, Frédéric Jousset, est un proche de Macron – n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Aussitôt la nouvelle annoncée, Franck Riester, le nouveau ministre de la Culture étroitement surveillé par l’Elysée, s’est déclaré ravi d’une telle création et a enfourché le cheval Culture. Une plate-forme participative de contributions a vu le jour en deux temps trois mouvements, histoire de préempter le sujet et de pouvoir discuter « culture pour tous, rémunération de la culture, culture participative » et autres tartes à la crème. Le tout avec la bénédiction de l’Elysée qui avait oublié de faire figurer la culture au nombre des sujets du grand débat national.
En plus, ce beau monde a trouvé une date (remise de la copie le 15 mars à Jupiter lui-même) et des lieux qui permettront aux habituels thuriféraires de prendre les choses en main et de sortir, dans un mois, les inévitables propositions qui conviendront au petit monde gravitant autour de la rue de Valois.
Des lieux emblématiques
Les lieux retenus pour débattre sont des symboles du parisianisme culturel et du poids de l’extrême gauche dans ces structures, à commencer par le 104, un « des lieux de culture de la capitale » qui a pris l’habitude depuis des années d’accueillir tout ce qui relève de la désobéissance civile. Le 25 octobre dernier, les rédactions de Regards, de Politis et Mediapart lançaient dans cet ancien siège des Pompes funèbres générales le manifeste « Pour l’accueil des migrants » signé par 150 intellectuels, artistes et autres ravis de la crèche. C’est ce même 104, établissement public de coopération culturelle qui a été habillé pour l’hiver par Télérama (qui n’a pourtant pas pour habitude de frayer avec l’extrême droite) lui reprochant sa « vision naïve et coûteuse de la culture ». Ce que confirme d’ailleurs la chambre régionale des comptes dans un rapport dénonçant la « détérioration structurelle de ses comptes », alors que ce repaire d’artistes en résidence perçoit plus de huit millions de subventions par an. L’autre lieu de réunion et de discussion choisi n’est autre que l’Ecole nationale des beaux-arts, foyer emblématique de la contestation en mai 68.
Et pendant ce temps, les destructeurs à l’œuvre
Cette effervescence ne saurait faire oublier que notre pays souffre, plus que jamais, de l’ignorance crasse de certains de ses responsables politiques qui massacrent notre patrimoine et se moquent éperdument, par exemple, d’un avis contraire du Conseil d’Etat qui contrarie leur projet. C’est le cas de Germinal Peiro, président socialiste du département de la Dordogne, qui s’entête à faire construire une route contournant le village de Beynac et défigurant la vallée de la Dordogne. Au grand dam de Stéphane Bern qui a ouvertement pris parti contre son projet, l’élu socialiste vient de recevoir le soutien appuyé d’Elisabeth Borne, ministre des Transports, qui balaie d’un revers de main la décision du Conseil d’Etat et ne tient surtout aucun compte de l’hostilité d’une majorité de Périgourdins à ce projet.
Les habitants de Chartres et les pèlerins ne sont pas mieux lotis avec le maire de la ville qui engage plus de 22 millions de travaux, à seul fin de réaliser une dalle de béton ascendante qui cache la vue de l’ensemble de la cathédrale. Très sûr de lui et n’acceptant aucune discussion, Jean-Pierre Gorges s’est également mis en tête d’accueillir les épreuves de natation et de plongeon pour les JO de 2024. Il vient d’envoyer une lettre à Emmanuel Macron, lui demandant d’exaucer son vœu. Il prétend avoir tous les équipements sportifs adéquats. Il ne lui manque qu’une tribune de 20 000 places coûtant la bagatelle de… 40 millions d’euros !
Décidément, Jupiter rend fous ceux qui veulent lui plaire, et notre patrimoine est à la merci de petits chefaillons qui ne voient que leur intérêt médiatique.