Auteur de nombreux ouvrages religieux, le cardinal de Lubac offre une œuvre complète pour les chrétiens. Retour sur le parcours d’un théologien qui aura abordé les grandes questions du XXe siècle et dont l’influence reste déterminante aujourd’hui.
Comme dans tous les livres du père de Lubac surabondent dasn L’Eucharistie fait l’Église des textes de tous les âges, de l’Écriture et des Pères, certes, mais aussi de contemporains pour célébrer le mystère de l’Église centre existentiel de tout le mystère du salut, un mystère qui n’est en définitive que le reflet, comme la lune du soleil, du mystère central qui est le Christ. L’Église a son origine en Dieu, « avant le commencement du monde ». Les deux aspects de l’Église une, caractérisés par une tension entre l’humain et le divin, le visible et l’invisible sont soulignés comme aussi son caractère hiérarchique. « En dernier ressort l’Église se concentre, pour ainsi dire, toute en Pierre », de sorte que la papauté garantit toujours la liberté des évêques face aux puissants de la terre. Y est aussi fortement marqué le lien indissoluble entre l’Église et l’Eucharistie. « L’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église. »
De même est souligné le lien qui existe entre Marie et l’Église dont la Mère du Christ, Mère des chrétiens est l’archétype. Dans un essai pénétrant, Le cardinal de Lubac, L’homme et son œuvre, Hans Urs von Balthasar explique que Méditation sur l’Église présente une spiritualité accordée à la théologie de Catholicisme. Ce premier livre du père de Lubac, paru en 1938, contient comme en germe tous les livres qu’au cours de sa longue vie il sera amené à écrire. « Le christianisme n’est pas une grandeur historique : c’est l’histoire qui est une grandeur chrétienne », écrit-il. Le père de Lubac envisage la question de l’Écriture et de son intelligence spirituelle, donnant une première esquisse de ce qu’il développera dans les cinq gros volumes d’Histoire et Esprit (1950) et d’Exégèse médiévale : les quatre sens de l’Écriture (1959, 1961 et 1964). Ces livres ont fait redécouvrir l’exégèse symbolique des Pères et des auteurs médiévaux à notre temps qui professe un symbolisme inverti.
« À le suivre, au lieu de voir comme Origène des anges dans les publicains, nous verrions des publicains – ou quelque autre réalité toute humaine – dans les anges ». «Pour tout dire d’un mot, précise le père de Lubac, notre grande tentation est de faire de Dieu le symbole de l’homme, son image objectivée. Par cette inversion redoutable, est-il besoin de le dire, avec la foi elle-même toute l’allégorie biblique serait emportée d’un coup » (Histoire et Esprit).
L’humanisme athée
Il y a, certes, tension entre personne et société, entre immanence et transcendance, mais le fait de les accepter dans toutes leurs conséquences permet au catholicisme de mener le dialogue tant avec le bouddhisme (athéisme oriental) qu’avec le communisme et toutes les formes de l’athéisme occidental. À ces problèmes, le cardinal a consacré plusieurs livres et notamment, Le drame de l’humanisme athée, dont la première édition parut en 1944.
« Il n’est pas vrai, y écrivait-il, que l’homme, ainsi qu’on semble quelquefois le croire, puisse organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai, c’est que sans Dieu, il ne peut en fin de compte que l’organiser contre l’homme. L’humanisme exclusif est un humanisme inhumain. »
À propos du problème de l’athéisme et de l’incroyance, comment ne pas évoquer les désillusions du Père de Lubac ? Jusqu’en 1974, il fit partie du secrétariat pour les non-croyants créé par Paul VI où l’on ne l’écoutait guère :
« J’ai eu l’impression que le souci du monde de l’incroyance, qui avait provoqué la création de Paul VI, était devenu très vite chez la plupart un souci de rencontre, mêlée de politique et de diplomatie avec le monde marxiste, favorisant même chez un certain nombre un effort de marxisation de l’Église. »
Un jugement sévère qui rejoint celui qu’il formulait en 1967:
«Déjà, en des cas trop peu rares, sous les noms équivoques d’ ‘Église postconciliaire’, ou d’ ‘Église nouvelle’, c’est une autre Église que celle de Jésus Christ qui risque de s’instaurer, si l’on peut parler d’instauration pour désigner un phénomène qui est avant tout d’abandon et de désintégration » (Teilhard et notre temps).
Dès les années du Concile, le cardinal Wojtyla s’est lié d’amitié avec le père de Lubac et lui a même demandé de préfacer son livre Amour et responsabilité. Le 20 octobre 1981, il a remercié le père de Lubac des quelques mots d’affection qu’il lui avait adressés après l’attentat du 13 mai. Jean-Paul II souhaitait au père de Lubac que « (son) oblation du soir soit encore féconde pour l’Église et pour la Compagnie de Jésus, auxquelles vous avez livré votre vie ». En 1985, donc, le cardinal de Lubac qui approchait alors de sa quatre-vingt dixième année parlait à Angelo Scola, aujourd’hui cardinal, de jeunes catholiques, prêtres et laïcs, qu’il rencontrait.
« Ils offrent sans bruit leurs services, là où leur dévouement peut être utile. S’ils se groupent ici ou là en petites communautés, ce n’est pas pour s’écarter de l’ ‘Église institutionnelle’, ils n’en connaissent et n’en voudraient pas en connaître d’autre. (…) Ils pourraient, s’ils le connaissaient, reprendre ce mot d’un inconnu, auteur d’une lettre à un certain Diognète, qui vivait au IIe siècle, perdu avec son petit groupe dans l’immensité de l’Empire romain : ‘les chrétiens sont l’âme du monde’. Ils le sont par vocation. »
Lu sur L’Homme nouveau