Selon un rapport publié mercredi, les clichés liés au genre influent encore largement sur les pratiques pédagogiques, les évaluations et le contenu des programmes scolaires.
Des petits garçons indisciplinés mais doués pour les matières scientifiques, un peu fainéants mais “chouchous” des professeurs, et des fillettes sérieuses, discrètes et passionnées par les matières littéraires. Profondément ancrés dans le système scolaire français, ces clichés persistent encore trop souvent selon un rapport publié mercredi par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE). “Les stéréotypes de sexe influencent les pratiques pédagogiques, les évaluations scolaires, les contenus des programmes et des manuels, les interactions avec les enseignants, les sanctions, les orientations des filles et des garçons, etc.”, écrit le HCE. Le Haut conseil a notamment relevé qu’à notes égales, les bulletins scolaires tentent à évoquer les “efforts” ou le”travail” d’une fille, mais estiment que le garçon est simplement “en-dessous de ses capacités”, notamment en mathématiques.
Le constat n’étonne nullement Delphine Martinot, professeure de psychologie sociale et spécialiste des inégalités de genre dans le système éducatif, pour qui “on ne fait pas évoluer une société hiérarchisée depuis des siècles d’un seul coup”. Pour évoquer le sujet, la chercheuse, interrogée par Europe1.fr, file une métaphore étonnante. “C’est comme la grippe. Pour éviter qu’elle ne se propage, on peut mettre en place toutes les politiques publiques que l’on veut, ce sont les petits gestes, comme le fait de se laver les mains, qui feront la différence.” Certains de ces “petits gestes”, applicables à tous, ont déjà fait leurs preuves.
Prendre conscience du problème
“Les stéréotypes de genre, c’est une imprégnation culturelle très puissante, qui se fait très tôt, dès l’âge de trois ans. On peut considérer que c’est le premier cliché intériorisé par les enfants”, diagnostique Delphine Martinot. Les enfants sont influencés par les premiers acteurs de leur socialisation : leurs enseignants, mais aussi leurs parents. “Or, bien souvent, ceux-ci n’ont pas conscience de l’impact de leurs mots”, souligne la chercheuse. “Beaucoup de parents expliqueront volontiers que leur fille réussit parce qu’elle est travailleuse, et que leur garçon pourrait mieux faire s’il n’était pas si fainéant. Jamais l’inverse.” Mais la chercheuse reconnaît qu’une intervention auprès de toutes les familles relève “du rêve”. “On peut organiser des réunions de sensibilisation, mais ne viendront que ceux que ça intéresse…”
Les enseignants appellent davantage les filles en tant qu’auxilliaires
Les tout-petits doivent alors être accueillis dans des écoles véhiculant le moins de clichés possible. “Le tout, c’est de faire prendre conscience aux enseignants que des pratiques qu’ils considèrent comme normales favorisent les stéréotypes”, détaille Delphine Martinot. Selon le rapport du HCE, les enseignants ont en moyenne 56% de leurs interactions avec les petits garçons, et 44% avec les filles. Ils “appellent davantage les filles en tant qu’auxilliaires (pour aider les autres élèves), ou pour calmer les garçons, lesquels sont davantage sollicités pour faire des démonstrations en cours d’éducation physique et sportive”, relève encore le document.
Selon le HCE, une diffusion toujours plus large des discours de prévention pourrait permettre d’accélérer cette prise de conscience, et inciter les enseignants à être vigilants. Faire attention à ne pas dire “c’est l’heure des mamans” mais “c’est l’heure des mamans et des nounous”, ou imaginer des énoncés de problèmes autres que “maman fait les courses” ou “papa répare le vélo” font partie des pistes envisagées. Le haut conseil reprend également une partie des propositions de la professeure Nicole Mosconi, comme le fait d’interroger en alternance un garçon et une fille, ou d’organiser des ateliers pour apprendre à repérer les stéréotypes sexistes.
Valoriser les exemples balayant les clichés
Parmi les pratiques testées au sein des écoles, l’une a particulièrement bien fonctionné selon Delphine Martinot. “Il s’agit de l’utilisation de modèles de comportements en matière scolaire.” La chercheuse a mené des expériences de lecture, dans les salles de classes, de portraits d’élèves plus âgés ayant réussi. “On prend cinq minutes en CM2, pour lire quelques phrases retraçant le parcours d’une fille de sixième, qui excelle en mathématiques, par exemple.” Menée juste avant un exercice d’évaluation, l’expérience a permis d’observer “des résultats positifs sur les deux sexes”, selon la chercheuse.
Rappeler qu’il n’existe pas de différence de capacité
Une autre mesure prônée par Delphine Martinot peut, au premier abord, sembler sans rapport avec les stéréotypes. “Il faut expliquer aux élèves qu’il y a des difficultés inhérentes aux apprentissages, que c’est normal de peiner, d’avoir du mal avant d’y arriver”, explique-t-elle. Le but ? Changer la façon de voir les tâches à accomplir et éviter le découragement. “Pour expliquer un échec, les enfants n’auront pas recours à des explications liées à de supposés ‘dons’ ou ‘lacunes’ en fonction de leur sexe.”
Revoir les manuels scolaires
C’est l’un des gros points noirs soulevés par le rapport du HCE. Si la thématique de l’égalité homme-femme est intégrée aux programmes d’enseignement moral et civique depuis la rentrée 2016, les manuels scolaires portent, eux, encore les stigmates des clichés sexistes. Dans les images d’illustration de ces livres pédagogiques, “les femmes sont sous-représentées numériquement et leur rôle est minimisé dans la production artistique et dans l’Histoire”, diagnostique le Haut conseil. Sur les photos ou dessins, seuls 33% des personnages pratiquant une activité sportive sont des femmes. Ce ratio atteint 70% pour les personnages faisant la cuisine, ou le ménage.
“On sait que tout ce qui véhicule des images stéréotypées renforce les stéréotypes”, déplore Delphine Martinot. “Il faut arrêter d’attribuer le premier rôle aux garçons, que pour la même histoire on ait à la fois une illustration avec une fille, et une autre avec un garçon”, préconise la chercheuse, opposée aux “contre-stéréotypes” – consistant à choisir un homme pour illustrer une tâche que les clichés attribuent aux femmes -, dont les effets “ne sont pas clairs.”
Et le HCE de citer l’exemple du Québec, où les manuels sont soumis au contrôle d’une instance dédiée, le Bureau d’approbation du matériel didactique (BAMD), créé en 1980. Ce dernier recense les différents personnages et ce n’est qu’après son approbation que le manuel est transmis au ministère. Le BAMD publie également des notices et guides pour éviter le sexisme, à destination de tous les acteurs de l’éducation, dont les professeurs. Dès octobre 2014, dans un rapport similaire à celui rendu mercredi, le Haut conseil français recommandait l’installation d’une instance de contrôle homologue indépendante en France.