Le lendemain de Noël, de nombreux journaux ont relaté une polémique née dans une école maternelle. À son origine, une pauvre comptine que les uns jugeaient raciste, tandis que les autres n’y voyaient nulle malice. Cette large médiatisation est restée sans lendemain. Pourtant, le choix des journalistes d’informer sur un événement somme toute anodin est révélateur du poids du politiquement correct et de l’unicité de la pensée dans notre pays, ainsi que des réflexes quasi conditionnés qu’ils suscitent.
Qu’est-ce que le racisme ? Selon Littré, c’est la « doctrine de ceux qui affirment l’existence de différences biologiques entre les diverses races et la supériorité de l’une d’entre elles. » C’est aussi « l’attitude hostile, voire agressive, envers les autres, qui résulte de cette opinion. »
La comptine dont il est question répond-elle à cette définition ? Si non, pourquoi une innocente chanson enfantine a-t-elle provoqué semblables réactions et, surtout, les libertés fondamentales inhérentes à notre civilisation sont-elles toujours garanties dans la France de ce début du XXIe siècle ?
Une polémique consternante
Le 26 décembre 2017, un parent d’élève aurait remis à Sacha Lin-Jung, président de l’association des Chinois résidant en France, le texte d’une comptine utilisée dans une école maternelle d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis, et qui aurait provoqué des réactions « horrifiées » de parents asiatiques.
Le jour même, une journaliste à France info, Linh-Lan Dao, en a publié le texte sur Twitter en évoquant avec ironie une « adorable comptine, pas du tout bourrée de clichés », et en ajoutant que « le racisme ordinaire a de beaux jours devant lui, surtout si on l’enseigne dès la maternelle ».
Aussitôt, une grande partie de la presse s’est emparée de la chansonnette. La plupart des titres mentionnaient une comptine « jugée raciste ». Plus nuancés, Le Parisien parlait d’un « scandale », L’Express reprenait l’idée d’une comptine « remplie de clichés », et L’Observers indiquait une « polémique autour d’une comptine caricaturale ».
Le 27 décembre, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, réagissait à son tour sur son compte Facebook et évoquait une « effarante comptine », tandis que Meriem Derkaoui, maire communiste d’Aubervilliers, parlait de « stéréotypes racistes inacceptables ». À la demande de Monsieur Sopo, le rectorat de Créteil devrait se saisir de l’affaire. On a donc constaté un battage médiatique tout particulier. Mais était-il justifié ?
Un racisme imaginaire
Littré nous apprend qu’une comptine est « un petit poème rythmé ou [une] courte chanson qu’utilisent les enfants pour désigner, par le compte des syllabes, celui qui sort du groupe dans certains jeux ». Plus précis, Larousse ajoute que « les paroles des comptines (…) sont plus riches de rythme que de signification ».
La comptine dont il est question figure dans divers recueils librement consultables sur Internet où l’on trouve aussi des versions enregistrées. Son titre exact est « Chang song », c’est-à-dire la chanson de Chang. Le texte est le suivant :
« Chang est assis / Il mange du riz / Ses yeux sont petits / Riquiquis
Chang me sourit / Quand il me dit / Veux-tu goûter / à mes litchis ?
T’es dans ton bateau qui tangue
T’as mal dans tes tongues
Tu vois des orang-outans
Ta tête fait ping-pong. Ping !
Chang boit du thé / Et du saké / C’est pour digérer / Son dîner
Chang à Pékin / Dans son jardin / Cueille du jasmin / tous les matins »
On constate que la comptine de Chang est une courte chanson comportant deux strophes et un refrain. Recherchant assonances et allitérations, le texte apparaît assez pauvre et, conforme à la définition de Larousse, est plus riche de rythme que de signification. Quant à une attitude hostile, voire agressive envers les autres, ou à l’affirmation de la supériorité d’une race sur les autres, c’est en vain qu’on les recherche.
C’est même tout le contraire. La comptine de Chang figure dans des recueils de comptines « autour du monde ». Elle a été utilisée devant deux classes dans une école maternelle dans le cadre de l’éveil musical et, plus précisément, de l’éveil aux musiques du monde. À ce titre, cette comptine est chantée, enseignée et partagée depuis plus de dix ans. Dès lors, pourquoi une telle polémique ?
Une analyse contestable
On peine à suivre le raisonnement de ceux que la comptine a pu choquer. Ils sont peu nombreux : on a dénombré 2000 partages sur Twitter, et environ 650 sur Facebook. Ne pouvant sérieusement parler de racisme, les détracteurs de la chanson de Chang évoquent des « clichés » ou des stéréotypes « discriminants » pour les Chinois et les Asiatiques.
Le principal argument avancé tient dans la référence aux yeux de Chang, qui sont « petits, riquiquis ». Dans une analyse relevant de la psychologie de comptoir digne du Café du commerce, Monsieur Sopo dénonce une « évocation très ethno-centrée qui consiste à voir la normalité à travers ce que l’on est soi-même. (…) Le Chinois n’a des yeux « riquiquis » que par la seule référence – implicite – aux yeux de l’auteur de la comptine qui pose son apparence en norme dont certains s’écarteraient ». Et le président de l’association antiraciste arrive à une « anormalité physique qui rime toujours avec illégitimité citoyenne ». CQFD.
Ces arguments ne peuvent être retenus. Il y a lieu d’abord de considérer le contexte. La comptine vise d’abord à mettre en évidence des assonances avec les mots « assis », « riz », « petits », « riquiquis ». Il ne faut donc y voir aucune référence volontaire au physique de Chang dont l’image est d’ailleurs positive puisqu’il « sourit » et veut partager ses « litchis ».
Ensuite, rien ne laisse supposer que si les yeux de Chang sont petits, c’est en comparaison avec les yeux de l’auteur, qui est d’ailleurs inconnu. Il s’agit ici d’une interprétation quelque peu hâtive, où l’intervenante, professeur de piano, est supposée avoir écrit le texte de la comptine, ce qui n’est pas évident.
Surtout, on est surpris de lire sous la plume de Monsieur Sopo que la référence à la forme des yeux des Asiatiques serait une « petite référence physique bien dégueulasse ». En quoi avoir les yeux bridés serait-il honteux ? Et rien n’indique non plus que Chang serait représentatif de l’image de tous les Chinois ou de tous les Asiatiques. Pourquoi ne pas considérer Chang pour ce qu’il est : l’image d’un enfant chinois illustrant une comptine à l’usage d’autres enfants, de toutes origines ?
Enfin, on croit rêver lorsqu’on lit qu’une « anormalité physique rime toujours avec (une) illégitimité citoyenne ». Cela reviendrait à dire, si cela était vrai, que les personnes différentes ou handicapées et présentant des anormalités physiques seraient illégitimes à exercer leurs droits de citoyens, ce qui n’est évidemment le cas nulle part.
Le retour du bon sens
Les réactions à la pression exercée à propos du choix de la comptine de Chang sont inquiétantes. Le principe de liberté pédagogique pose que les enseignants sont libres de choisir les textes qui leur semblent pertinents dans l’exercice de leur profession. Or, la polémique née de l’utilisation de la comptine de Chang bat en brèche cette liberté.
Ainsi, les Ateliers du Préau, structure qui intervient dans les écoles dans le cadre d’activités périscolaires ou de projets de classe, ont été interpellés par Monsieur Sopo qui jugeait que la comptine véhiculait des stéréotypes discriminants pour les Chinois et les Asiatiques. La réponse des Ateliers du Préau est édifiante.
Les Ateliers du Préau se sont d’abord défendus d’être les éditeurs de la comptine. Ils se sont ensuite retranchés derrière la liberté pédagogique de leur intervenante, Madame Suzanna Orsolata-Cannadieu, professeur de piano, qui a apposé leur nom « mais n’était pas censée le faire ».
Les Ateliers ont fait savoir qu’ils allaient s’excuser, publier un communiqué à l’intention des parents, éliminer la comptine de leur répertoire et, éventuellement, prendre des sanctions contre leur intervenante dont ils avaient pourtant indiqué qu’elle « n’a jamais eu aucune volonté de nuire ». L’influence d’une pensée politiquement correcte est ici évidente.
Cette pensée s’est également exprimée sur Internet à travers quelques commentaires évoquant très classiquement le respect mutuel, le vivre-ensemble, le multiculturalisme, des clichés « débiles », ou encore un « petit concentré de racisme ». Cependant, l’adhésion à ce discours n’a pas été unanime.
En effet, quelques internautes ont souhaité exprimer un certain bon sens en posant une question simple : « Où est le problème ? » Là où l’accusation mentionnait des stéréotypes discriminants, des voix se sont élevées pour prendre la défense de la comptine : « polémique disproportionnée », « certains s’offusquent pour un rien pour créer la polémique », ou encore « où est le racisme dans cette comptine ? »
Il faut préserver la liberté d’expression
La polémique de Chang montre qu’aucun sanctuaire n’est à l’abri de réactions dans le cas où l’expression d’une idée, à travers un texte, une image, une musique ou un comportement s’écarterait, f!t-ce d’un fil, de la doxa politiquement correcte entretenue dans notre société. Le risque déjà observé est celui d’une sclérose de la pensée provoquée par une autocensure permanente. La dénonciation du plus petit écart aboutissant à la dénonciation et à la culpabilisation de l’auteur supposé et à une repentance dont on sait qu’elle n’est même pas salvatrice.
Cependant, la force de la liberté amène un nombre croissant de personnes à rejeter l’enfermement dans les limites du « prêt à penser » et à exprimer des opinions dont le bon sens désarme les thuriféraires de la pensée unique. Comme ce commentaire du pseudonyme GentilOursGrincheux : « Quand la liberté d’expression est victime de la censure faite au nom de la liberté des autres et du droit des autres, notre France, celle des droits de l’homme, est en train de vendre son âme aux tyrans de demain. Coluche, Desproges, Le Luron, Amadou, revenez ! Ils sont devenus fous ! ».
André Murawski _ Polémia
Conseiller régional Hauts-de-France
14 janvier 2018