Le trafic des trésors mésopotamiens et irakiens!

Annoncée en mai dernier, la réouverture du musée de Bagdad semble imminente. Néanmoins, depuis la prise de contrôle de Mossoul par les djihadistes du groupe État islamique en Irak et au Levant (EIIL), en juillet dernier, et la destruction de plusieurs moments religieux, les autorités culturelles redoutent que les fabuleux trésors des musées nationaux soient de nouveau volés.

Comment éviter que le scénario se répète ? Adarvan Amir-Aslani, avocat associé du cabinet Ngo Cohen Amir-Aslani, essayiste et conseil de la République d’Irak, nous donne des éléments de réponses.

Comment les autorités irakiennes ont-elles procédé pour récupérer les œuvres d’art volées lors des pillages des musées de Bagdad et Mossoul en 2003 ?

Un certain nombre de textes internationaux considèrent qu’il y a une présomption d’illicéité pour tout objet d’art irakien vendu à l’étranger depuis la deuxième guerre du Golfe persique soit 1990, à moins que le vendeur puisse apporter la preuve irréfutable de son acquisition en bonne et due forme légale. Cette présomption de contrebande est une première protection fondamentale. L’État irakien a ensuite donné instruction à toutes ses ambassades d’être particulièrement attentif à toute vente d’objet d’art irakien ou considéré comme irakien dans les salles de vente. Ces ambassades détachent leur spécialiste d’antiquités ou leur attaché culturel à chaque vente d’objet sumérien ou réputé mésopotamien. Dès lors qu’il y aura si ce n’est l’ombre d’une suspicion de contrebande, les responsables irakiens font opposition à la vente et portent plainte auprès de la police, qui va ensuite saisir les objets. Les objets confisqués par les autorités policières sont ensuite remis à l’Irak.

Quels types d’antiquités avez-vous déjà pu permettre de restituer à l’Irak ?

Grâce à la vigilance de l’Office Central de Lutte contre le Trafic de Biens Culturels et de l’ambassade de la République d’Irak en France, nous avons pu restituer des statues, des pages manuscrites du Coran, des statuettes de dieux babyloniens ainsi que des pièces d’or par exemple.

Les personnes retrouvées en possession d’objets irakiens à l’origine douteuse risquent-elles des poursuites ?

L’objectif principal de l’État irakien est avant tout de récupérer les objets. Une fois que cela est fait, nous abandonnons les poursuites sinon nous y passerions tout notre temps. En plus, ce sont des poursuites publiques dont l’initiative appartient à la police française et non à l’Irak. Globalement nous sommes déjà bien contents de récupérer les objets. Cependant, en ce moment, un procès est en cours entre l’État irakien et des personnes qui voulaient vendre des antiquités à travers les salles de ventes.

Quel est le profil de ces présumés « contrebandiers » ? Peuvent-ils contester la saisie des objets ?

Les dossiers de plainte concernent surtout des particuliers et des antiquaires. 9 fois sur 10, les personnes ne s’opposent pas à la saisie des objets qu’ils comptaient vendre. Les exceptions existent tout de même, je vais vous prendre l’exemple de ce dossier. En l’espèce l’Irak s’est opposé à la vente de manuscrits antiques. Les biens ont été confisqués, mais les pseudo-propriétaires veulent se battre pour récupérer « leurs » biens. Ils tentent de démontrer que ces écrits leur appartiennent en élaborant une chaîne de propriétaires. Leur argument principal est de faire valoir que ces objets viennent par exemple d’Iran et que c’est un héritage familial. Afin de réaliser cette arnaque, ils produisent des factures iraniennes ou d’antiquaires iraniens établis à l’étranger datant d’avant la guerre Iran/Irak. L’Irak occupe aujourd’hui une superficie territoriale bien moindre par rapport à celle occupée par sa civilisation qu’il représente, il est donc « facile » – a priori – de faire valoir que les objets viennent d’un autre pays voisin. Reste que les contrevenants ne se doutent pas à quel point nous sommes attentifs. Je suis sans pitié envers la contrebande, chaque objet restitué, aussi petit soit-il, est une victoire.”

2007, en Allemagne, les autorités ont été alertées par un internaute : cet expert de l’art irakien et mésopotamien avait vu sur le site d’eBay la mise aux enchères d’une tablette aux écritures cunéiformes provenant vraisemblablement du musée de Bagdad. Le vendeur suisse avait uniquement publié sur le site un certificat d’authenticité établi par un antiquaire, ce qui ne constitue pas une preuve de la légalité du transfert. Les autorités allemandes ont donc saisi à leur tour le service spécialisé « Transfert international des biens culturels » de l’Office fédéral de la Culture en Suisse. Aussitôt prévenus, ils ont empêché la vente de l’objet grâce à une étroite collaboration avec eBay. « Nous avions des indices comme quoi il y a un certain nombre d’offres douteuses sur Internet. Cela nous a incités à ouvrir une collaboration avec eBay ou Ricardo.ch. En Suisse, nous sommes en train d’établir des mesures qui prévoient de limiter, voire d’interdire, la vente d’objets archéologiques sur ces plateformes internet », indique Yves Fischer, responsable du service Transfert des biens culturels à l’Office fédéral de la culture. Un bel exemple de réussite et de coopération, suivi par les autorités américaines, péruviennes, italiennes et jordaniennes.”

Comment l’État irakien protège-t-il son patrimoine national ? Arrive-t-il à contrôler a minima le marché des antiquités ?

Aujourd’hui, il est impossible pour l’Irak de protéger son patrimoine, il n’y arrive pas. Entre autres à cause de l’actuelle irruption des islamo-fascistes de l’État islamique. Les autorités ont beau savoir comment faire, encore faut-il pouvoir le faire. Le pays étant, actuellement en total désarroi, n’importe qui peut aller effectuer des fouilles. Personne n’est là pour vérifier ce que vous faites ? L’État n’a aucune main mise sur le marché national des antiquités. Tous les objets qui étaient dans les catalogues sont facilement identifiables, mais pas ceux qui proviennent de fouilles sauvages. Or la plupart des sites archéologiques font l’objet de fouilles illicites.

À l’étranger, l’État irakien arrive à contrôler le marché des antiquités entre autres grâce aux ambassades, et en France à la surveillance de l’Office Central de Lutte contre le Trafic de Biens Culturels. C’est une première chose de trouver un objet, s’en est une autre de pouvoir le vendre légalement. Il est impossible de le vendre légalement, comme je l’ai expliqué.

Ce manque de protection est-il purement dû à la guerre contre l’organisation État Islamique ?

Dans un pays comme l’Irak, qui a subi et qui subit encore de nombreuses guerres, la protection de son patrimoine ne peut clairement pas être la priorité. Celle de la protection de sa population passe avant par exemple.Jamais dans l’histoire du pays les œuvres d’art n’ont été correctement protégées, à cause de la faiblesse de l’État et des conflits régionaux. S’il y avait le règne du droit, cela aurait été différent. Aujourd’hui par exemple en Iran, où la législation sur le trafic d’antiquités est appliquée, il est extraordinairement difficile de creuser et d’exporter puisque les autorités surveillent. Ce n’est pas le cas en Irak.

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