Chirac , les secrets du clan de Béatrice Gurrey

Pour l’avoir suivi pendant son dernier mandat présidentiel et pour n’avoir jamais rompu le contact par la suite, Béatrice Gurrey, grand reporter au journal Le Monde, figure parmi les grands témoins de la fin de carrière de ce bulldozer politique hors norme. Loin de s’attacher aux épisodes les plus trépidants du destin du plus secret des présidents, entamé à l’ombre de Georges Pompidou et achevé dans les cendres de l’après-11 septembre, l’auteur des “Chirac, les secrets du clan” paru aux éditions Robert Laffont offre un regard inédit sur les dernières années du “Grand”.

En 2005, Jacques Chirac est frappé politiquement et personnellement par l’échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen puis par un AVC, qui ouvrent tous deux la course à sa succession. Atteint dans son corps et marginalisé par l’irrépressible ascension de son fils maudit Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac perd pied. Entouré de son clan, sa femme Bernadette, sa fille Claude et son futur gendre Frédéric Salat-Baroux, qui le surprotège et l’isole encore davantage, c’est un Chirac épuisé par la vie, pourchassé par la justice et plus populaire que jamais qui se dessine au fil des pages. C’est tout cela que raconte d’une plume de velours Béatrice Gurrey. Le livre, un succès au regard du fait qu’il n’accable ni n’exonère ses personnages hauts en couleur, témoigne de cette solitude intime d’un homme bercé dès son plus jeune âge par l’euphorie du pouvoir et plongé brutalement dans la double obscurité de la maladie et de la mort politique.

Entretien avec l’auteur.

Votre livre débute sur cette “annus horribilis” de 2005. Jacques Chirac est-il véritablement fini politiquement à cette période?

A l’époque, Jacques Chirac n’est pas complètement hors course puisqu’il lui reste un an et demi de mandat à « tenir ». Mais ses graves soucis de santé signent la fin symbolique du pouvoir et, surtout, mettent fin à l’illusion d’une nouvelle candidature. C’est à cette occasion que se met en place autour de ce souverain finissant une stratégie du secret, encore renforcée, pour faire croire que le feu politique brûle encore. L’artisan de cette omerta, sous couvert de transparence, est en réalité Frédéric Salat-Baroux, le secrétaire général de l’Elysée appuyé par Claude, qu’il épousera en 2011. Bernadette Chirac quant à elle cherche à peser de toutes ses forces pour que l’on allège l’emploi du temps de son mari. A partir de cet AVC, les rivaux internes, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin versent dans une guerre ouverte pour sa succession. N’oublions pas que c’est aussi à ce moment-là que débute l’affaire Clearstream.

Vous décrivez un Jacques Chirac alors très affaibli physiquement et en proie aux pressions divergentes de ce trio intime…

Les passions et les intérêts divergents du clan Chirac se font surtout jour au moment de quitter le pouvoir. Frédéric Salat-Baroux espère alors un poste de ministre que Sarkozy lui aurait promis. Claude Chirac, qui s’est déjà engagée dans une relation secrète avec l’ancien secrétaire général de l’Elysée, compte sur cette promesse. Elle va être très déçue. C’est une déchirure qui vient se rajouter à un passif déjà lourd entre elle et Sarkozy. Tout va s’exacerber avec le procès des emplois fictifs de la mairie de Paris. Jacques Chirac éprouve alors une espèce d’indifférence à tout. C’est Jacques Le Fataliste. Il a une peau de crocodile épaisse et a montré plus de chagrin pour Juppé, condamné en 2004, que pour lui-même. Cela ne le bouleverse pas contrairement à Bernadette, femme mondaine qui entend préserver sa position sociale. Elle va donc tout faire pour éviter ce procès. A l’époque, Bernadette Chirac pense, à tort, que Nicolas Sarkozy peut lui permettre d’éviter les juges. Et elle montre une gratitude certaine à son égard car il a pesé de façon décisive pour que l’UMP règle la plus grande partie de la lourde facture du protocole d’accord avec la mairie de Paris, 1,7 million d’euros. Claude quant à elle est déchirée entre sa position, favorable à François Hollande et la crainte de s’attirer les foudres de Nicolas Sarkozy.

C’est alors que Chirac se déclare en faveur de François Hollande ce que son entourage va s’empresser de démentir, au risque de le faire passer pour quelqu’un de sénile…

Jacques Chirac a annoncé qu’il votera Hollande en juin 2011 et c’est là que ses problèmes commencent. On lui fait passer des examens médicaux qui vont lui éviter d’assister à son procès. Mais on veut, d’une certaine façon, discréditer définitivement sa parole publique et politique. Par “on”, j’entends Bernadette mais aussi Claude et Frédéric Salat-Baroux. Tous deux se sont attachés à sculpter une statue de Chirac pour l’Histoire, au risque de le momifier. Et ils font tout pour qu’elle ne soit pas écornée. A leurs yeux, la “marque Chirac” doit à tout prix être préservée comme un bien politique. Alors même que Jacques Chirac n’a, à mes yeux, pas d’héritier. Le chiraquisme tient essentiellement à la personne de Jacques Chirac. Tout cela explique que Claude adresse en privé son soutien à François Hollande tout en s’excusant auprès de Nicolas Sarkozy pour les paroles de son père.

Affaibli, isolé, marginalisé, condamné… Le paradoxe de cette période, c’est que Chirac est au sommet de sa popularité…

Cela tient à plusieurs raisons, la première étant le retrait de la vie politique. Lorsqu’il quitte le pouvoir, son vieil ami Pierre Mazeaud lui prédit “dès que tu quitteras l’Elysée, tu prendras 30 points”. Mais cela n’est pas toujours automatique. Il faut aussi une adhésion à la personne et à la personnalité de Chirac. Or, si l’on a pu le traiter de Supermenteur, si l’on a pu gloser sur les affaires qui devaient faire “pschitt”, il reste néanmoins un attachement des Français à ce président qui les a accompagnés depuis si longtemps. Et c’est l’autre point qu’il faut souligner. Chirac, c’est une carrière d’une longévité exceptionnelle. Il fait partie du roman national et il est éminemment sympathique. Pendant la cohabitation, Lionel Jospin ne cessait de répéter à ses ministres: « arrêtez de dire que Chirac est sympa ! ». En 2002, lorsqu’il s’agit de faire battre Jean-Marie Le Pen, 82% des Français ont voté pour lui. Je ne suis pas sûre qu’une autre personnalité aurait obtenu le même score.

Sa popularité n’est-elle pas liée aussi au fait qu’il incarne une forme d’anti-sarkozysme?

C’est le terme exact. Chirac avait coutume de dire, lorsqu’il était encore au pouvoir, que Sarkozy était « libéral, atlantiste et communautariste ». Et dans sa bouche cela voulait dire : tout ce que je ne suis pas. Je crois que pendant la campagne de 2012, il y aurait volontiers ajouté l’adjectif « populiste », tant les oeillades au Front national, prolongeant la ligne inspirée par Patrick Buisson lui déplaisaient. En 40 ans de carrière, Chirac aura été pompidolien, libéral, anti-immigrés, rad-soc, écologiste, amateur des arts premiers…

Au fond, quel est le vrai Chirac?

François Hollande a dit: “Chirac n’est jamais tombé du mauvais côté”. Et au fond, c’est assez vrai. Contrairement à son propre camp, Chirac est pour l’avortement, contre la peine de mort, européen au moment de Maastricht. Il est un président qui vit la laïcité et qui en cherche les applications concrètes. Il déteste l’affrontement national et montre avec François Hollande le visage d’une République réconciliée. Du coup, on a pu taxer sa politique d’immobiliste ce que je trouve souvent exagéré. C’est surtout quelqu’un qui a une vision du monde. Vous parliez de son goût pour les arts premiers, cela va plus loin que cela. Chirac, c’est une vision de l’humanité. Il faut s’être promené dans le monde arabe avec lui pour se figurer ce qu’il y représente. Après qu’il se soit opposé à la guerre en Irak, des parents ont prénommé leur enfant Chirac! Sa décision historique repose sur une connaissance profonde du monde. A ce moment-là, l’opinion le suit et il emporte l’adhésion nationale. Sauf, soit dit en passant, celle de Nicolas Sarkozy qui lui, voulait envoyer des troupes.

Lorsque Chirac soutient Hollande puis Juppé face au même Nicolas Sarkozy, on a la sensation que même après 2007, il n’a jamais cessé de faire de la politique. Peut-être en refera-t-il d’ici 2017?

Il ne faut pas sous-estimer l’affaiblissement physique de Jacques Chirac. Le certificat médical produit devant le tribunal correctionnel démontre que sa maladie est bien réelle. Et je pense qu’aujourd’hui, il est très loin du tumulte de la vie politique. En revanche, sa prise de position en faveur d’Alain Juppé répond à quelque chose de très ancien et de très profond. Je ne doute pas un instant que c’est ce qu’il pense. Mais je serais peinée qu’on lui fasse endosser des commentaires sur la vie politique intérieure.

Vous disiez que Chirac n’a pas d’héritier. Certains verraient bien une filiation entre Chirac et Hollande…

Je ne parlerais pas d’héritier. Mais entre eux il y a bien ce fond commun radical-socialiste venu de Corrèze. Il ne faut pas oublier que Jacques Chirac est le petit-fils de quatre instituteurs. Oui, ils partagent cet héritage commun fait de laïcité et de modération. Sans oublier ce lien de sympathie avec les Français, même s’ils ont tous deux connu les abîmes de l’impopularité. Donc oui, les points de convergence sont réels. Cette parenté politique était palpable lors de la cérémonie de la fondation Chirac de 2013, au musée du Quai Branly. Dans son discours, François Hollande reprend “la maison brûle”, l’Irak, il assume l’héritage de Chirac, certes dans ce qu’il a de plus consensuel, mais a contrario de ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy.

Tous deux se reconnaissent comme des hommes d’Etat…

Dans ses “Mémoires”, Chirac qualifie Hollande d’homme d’Etat à propos justement d’une question sur la laïcité. Cela n’est pas passé inaperçu et cela a beaucoup agacé Nicolas Sarkozy qui n’a jamais eu droit à cet égard.

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