Connaissez-vous Albert Robida? (Vidéo)

 

Dessinateur, lithographe, aquafortiste, caricaturiste et romancier, Albert Robida est un contemporain de Jules Verne (1828-1905), dont il est le cadet de vingt ans, mais dont il ne connut pas la gloire prolongée.

Il est né le 14 mai 1848 à Compiègne. Fils d’un menuisier, il se dirigea d’abord vers le notariat, mais dans l’ennui de l’étude il s’adonne à la caricature. Il commence sa carrière en 1866 comme dessinateur au Journal amusant et travaille ensuite dans divers revues, avant de fonder en 1880, avec l’éditeur Georges Decaux, sa propre revue, La Caricature, qu’il dirigera jusqu’en 1892. Les jeunes dessinateurs de l’époque, tels que Caran d’Ache, Louis Morin, Job, Ferdinand Bac, Radiguet, commencent leur carrière dans cette revue. Il collabore également au Petit Français illustré. De ses nombreux voyages effectués de 1875 à 1879 en Europe, il rapporta sa série des Vieilles Villes, sorte de guides touristiques abondamment illustrés. Il illustre également des ouvrages de vulgarisation historique, des classiques de la littérature (contes des Mille et une Nuits, contes populaires, François Villon, Rabelais, Cervantes, Shakespeare, Swift, Balzac,… ), et ne néglige pas une veine coquine croquant l’élégance féminine ou l’histoire des maisons closes. Alors que Robida était bien en vue dans les trois dernières décennies du 19ème siècle, sa renommée s’éclipse après la Première Guerre mondiale.

Il faut attendre le film de France Roche et Pierre Kast en 1954 et une exposition à Compiègne en 1968 pour qu’on le redécouvre. Une vielle rue de Belleville est rebaptisée en 1961 Villa Albert Robida. Une biographie de Philippe Brun, publiée en 1984 s’attache à restituer son imposant catalogue, tandis qu’une Association Albert Robida réunit les admirateurs et retrouve encore quelques dessins inédits, publié dans la revue Le téléphonoscope.

C’est surtout grâce à sa trilogie d’anticipation – Le Vingtième Siècle (1883), La guerre au vingtième siècle (1887), Le Vingtième siècle. La vie électrique (1890), que Robida trouve un regain de popularité. Dans Le Vingtième siècle, que son ami Octave Uzanne qualifiait encore en 1895 d'”extravagant”, il a certainement égalé, et même dépassé, Verne dans l’imagination du siècle à venir. Le métro – appelé “tube” -, les engins volants, les bombardements, les rayons X, mais aussi les technologies de communication, et en particulier le téléphonoscope, véritable préfiguration de la télévision et de la visiophonie, sont là, non pas comme chez Jules Verne pour illustrer la puissance démoniaque de quelque inventeur, mais comme des techniques normalement intégrées dans l’évolution de la société. Ces ouvrages ne se contentent d’ailleurs pas de développer des fantaisies sur la technologie : ils imaginent les développements sociaux à venir, souvent avec justesse, en particulier la promotion sociale des femmes, le tourisme culturel de masse ou encore la pollution.

Un visionnaire de la société révolutionnée par les technologies de communication

Les technologies de communication occupent une place privilégiée dans Le Vingtième siècle : le téléphone (inventé en 1876 par Graham Bell), le phonographe (inventé en 1877 par Charles Cros et Edison), et surtout le téléphonoscope qui préfigure aussi bien le visiophone que la télévision.

L’étude du contexte scientifique de ce début des années 1880 et des sources probables du Vingtième siècle se révèle passionnante si l’on veut percevoir ce que Robida doit à son époque mais aussi en quoi son oeuvre est proprement originale et visionnaire.

La description du téléphonoscope par Robida

“Parmi les sublimes inventions dont le XXème siècle s’honore, parmi les mille et une merveilles d’un siècle si fécond en magnifiques découvertes, le téléphonoscope peut compter pour une des plus merveilleuses, pour une de celles qui porteront le plus haut la gloire de nos savants.

L’ancien télégraphe électrique, cette enfantine application de l’électricité, a été détrôné par le téléphone et ensuite par le téléphonoscope, qui est le perfectionnement suprême du téléphone. L’ancien télégraphe permettait de comprendre à distance un correspondant ou un interlocuteur, le téléphone permettait de l’entendre, le téléphonoscope permet en même temps de le voir. Que désirer de plus ?

Quand le téléphone fut universellement adopté, même pour les correspondants à grande distance, chacun s’abonna, moyennant un prix minime. Chaque maison eut son fil ramifié avec des bureaux de section, d’arrondissement et de région. De la sorte, pour une faible somme, on pouvait correspondre à tout heure, à n’importe quelle distance et sans dérangement, sans avoir à courir à un bureau quelconque. Le bureau de section établit la communication et tout est dit; on cause tant que l’on veut et comme on veut. Il y a loin, comme on voit, de là au tarif par mots de l’ancien télégraphe.

L’invention du téléphonoscope fut accueillie avec la plus grande faveur; l’appareil, moyennant un supplément de prix , fut adapté aux téléphones de toutes les personnes qui en firent la demande. L’art dramatique trouva dans le téléphonoscope les élements d’une immense prospérité; les auditions théâtrales téléphoniques, déjà en grande vogue, firent fureur, dès que les auditeurs, non contents d’entendre, purent aussi voir la pièce.

Les théâtres eurent ainsi, outre leur nombre ordinaire de spectateurs dans la salle, une certaine quantité de spectateurs à domicile, reliés au théâtre par le fil du télé- phonoscope.Nouvelle et importante source de revenus. Plus de limites maintenant aux bénéfices, plus de maximum de recettes ! Quand une pièce avait du succès, outre les trois ou quatre mille spectateurs de la salle, cinquante mille abonnés, parfois, suivaient les acteurs à distance; cinquante mille spectateurs non seulement de Paris, mais encore de tous les pays du monde.

Auteurs dramatiques, musiciens des siècles écoulés ! ô Molière, ô Corneille, ô Hugo, ô Rossini ! qu’auriez-vous dit au rêveur qui vous eût annoncé qu’un jour cinquante mille personnes, éparpillées sur toute la surface du globe, pourraient de Paris, de Pékin ou de Tombouctou, suivre une de vos oeuvres jouée sur un théâtre parisien, entendre vos vers, écouter votre musique, palpiter aux péripéties violentes et voir en même temps vos personnages marcher et agir ?

Voilà pourtant la merveille réalisé par l’invention du téléphonoscope. La Compagnie universelle du télé- phonoscope théâtral, fondée en 1945, compte maintenant plus de six cent mille abonnés répartis dans toutes les parties du monde; c’est cette Compagnie qui centralise les fils et paye les subventions aux directeurs de théâtres.

L’appareil consiste en une simple plaque de cristal, encastrée dans une cloison d’appartement, ou posée comme une glace au-dessus d’une cheminée quelconque. L’amateur de spectacle, sans se déranger, s’assied devant cette plaque, choisit son théâtre, établit sa commu- nication et tout aussitôt la représentation commence.

Avec le téléphonoscope, le mot le dit, on voit et l’on entend. Le dialogue et la musique sont transmis comme par le simple téléphone ordinaire; mais en même temps, la scène elle-même avec son éclairage, ses décors et ses acteurs, apparaît sur la grande plaque de cristal avec la netteté de la vision directe; on assiste donc réellement à la représentation par les yeux et par l’oreille. L’illusion est complète, absolue; il semble que l’on écoute la pièce du fond d’une loge de premier rang.

M. Ponto était grand amateur de théâtre. Chaque soir après son dîner, quand il ne sortait pas, il avait coutume de se récréer par l’audition téléphonoscopique d’un acte ou deux d’une pièce quelconque, d’un opéra ou d’un ballet des grands théâtres non seulement de Paris, mais encore de Bruxelles, de Londres, de Munich ou de Vienne, car le téléphonoscope a ceci de bon qu’il permet de suivre complètement le mouvement théâtral européen. On ne fait pas seulement partie d’un public parisien ou bruxellois, on fait partie, tout en restant chez soi, du grand public international !”

(Le vingtième siècle, 1883, pp.53-57).

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