Dans cette entrevue diffusée le 14 novembre par le réseau russe RT International, le commentateur politique Gearóid Ó Colmáin explique dans quel contexte les attentats terroristes de vendredi à Paris peuvent être compris. Gearóid Ó Colmáin est un analyste politique irlandais travaillant à Paris.
Nous allons maintenant parler avec le journaliste politique et auteur Gearóid Ó Colmáin qui nous rejoint de Paris ce soir – merci de vous joindre de nouveau à nous à RT International. Vous êtes dans la capitale française, comment décririez-vous l’atmosphère dans cette ville en ce moment ?
On nous dit que nous sommes en état de guerre, et en situation de crise ; nous avons déjà vu cela, en janvier, alors que pendant plusieurs semaines nous avons constamment entendu des sirènes, et du bavardage incessant à la radio concernant la menace posée par l’islamisme radical et des groupes terroristes, etc. Alors nous assistons à un genre de reprise de cette situation, mais accentuée je dirais, et nous allons voir une intensification de la campagne médiatique, qui est essentiellement une campagne de propagande pour inciter les Français à craindre les musulmans.
Nous devons être clairs quant aux origines de la guerre au terrorisme. « La guerre au terrorisme », et je cite, « est orchestrée de l’extérieur ». Ce sont les mots que François Hollande a employés pour décrire cet attentat terroriste. Et bien, les attaques qui ont continué de détruire la Syrie, de massacrer sa population, ont également été orchestrées de l’extérieur ; elles ont été orchestrées par l’OTAN, et ils ont perpétré ces attaques envers la population civile de la Syrie depuis quatre ans maintenant. Et il s’agit d’une campagne terroriste qui est également orchestrée de l’extérieur.
Les Européens doivent comprendre qu’il existe déjà un état de guerre, et que cette guerre prend une envergure mondiale, et qu’elle est exercée contre les populations civiles, en particulier. Il s’agit d’une forme de néo-impérialisme, de néocolonialisme, qui cherche à conquérir en les divisant les populations européennes, du Moyen-Orient, de l’Afrique et du monde entier, en fait, pour les soumettre à un ordre mondial qui n’est pas au service de l’ensemble de la population de la planète, mais plutôt au service d’une toute petite élite, une élite dirigeante actuellement très restreinte, et particulièrement tyrannique.
Il n’y a pas de guerre contre le terrorisme. Il y a une guerre qui est exercée au moyen d’intermédiaires, des groupes terroristes employés pour attaquer les nations états qui résistent à l’hégémonie américano-israélienne ; ils sont également employés pour discipliner les travailleurs européens dans une période d’austérité où le chômage est très élevé.
Vous avez maintenant des attaques commises par des terroristes financés et entrainés par les services de renseignement occidentaux. Isis n’existe pas. Isis est une création des États-Unis. Nous l’avons appris de sources militaires officielles aux États-Unis, par des documents rendus publics par le service de renseignements de la défense des États-Unis, qui l’ont confirmé.
Les Français – le gouvernement français tente maintenant de mousser le soutien nécessaire à une escalade de ses interventions militaires en Syrie. Ils souhaitent jouer un rôle plus important. La partie est presque perdue : les Russes ont mis en déroute une bonne partie de l’État islamique ; nous avons maintenant des militants de l’État islamique qui arrivent en Europe déguisés en réfugiés, qui vont déstabiliser l’Europe centrale.
Le gouvernement français veut avoir sa part du gâteau en Syrie et soutenir les soi-disant rebelles modérés. Il n’y a pas de rebelles modérés en Syrie, évidemment. Il y a des militants d’Al-Qaïda et d’Isis, des terroristes qui décapitent et qui éviscèrent des gens, qui ont créé un chaos et un génocide absolus dans toute la région. Cela ne rend pas service à la population syrienne ou à quiconque, sauf les élites corporatistes occidentales et leurs intérêts géopolitiques.
À quoi vous attendez-vous de la part de la France maintenant, non seulement à la lumière des attaques terroristes de vendredi, mais dix mois plus tard, suite à l’attentat contre Charlie Hebdo ? Elle ne modèrera pas ses interventions, n’est-ce pas ?
Non. Tout dépend de la réaction du public français. Nous sommes actuellement bombardés par une campagne de propagande médiatique, un bavardage incessant nous disant de ne pas sortir dans la rue, que nous devons avoir peur, rester calmes, etc.
Je crois qu’il y aura une campagne contre les dissidents en France. On est très inquiet pour les nouveaux médias qui ont émergé au cours des dernières années, et on est très inquiet pour les médias alternatifs. Je crois que nous allons voir – nous avons vu cela en fait après les attaques du mois de janvier – vous aller voir une confluence entre terrorisme et dissidents. Un des outils que les médias grand public utilisent pour discréditer toute forme de questionnement rationnel à l’égard de l’ordre établi, en particulier à l’égard de la guerre contre le terrorisme, consiste à ridiculiser quiconque remet en question la guerre contre le terrorisme sous l’angle d’une conspiration.
Je crois que vous allez voir des répressions envers les soi-disant conspirationnistes et les sites qui publient des analyses honnêtes et rationnelles de ce qui se passe. Vous allez assister à une recrudescence de ce genre de terrorisme intellectuel, qui est déjà à un point d’ébullition en France. Nous en sommes déjà au point maintenant où vous avez des professeurs universitaires qui sont intimidés. Vous avez des enseignants qui sont essentiellement congédiés uniquement pour avoir suggéré qu’il pourrait y avoir un lien entre l’impérialisme français et le terrorisme. Par exemple, il y a eu un cas récemment où un enseignant a failli perdre son poste lorsqu’il a suggéré qu’il pourrait bien y avoir un lien entre la politique étrangère française et le terrorisme.
Alors nous traversons une période marquée par une intensification du terrorisme intellectuel. Et évidemment ces actes terroristes aléatoires sont une forme de guerre civile de faible intensité. Je crois que la crise actuelle, la crise des réfugiés, qui est en fait une forme de migration forcée et organisée, puisqu’elle aurait facilement pu être évitée – cette forme de migration forcée et organisée ne fera qu’empirer les choses ; cela va créer les conditions propices à une guerre civile.
C’est une conséquence naturelle, évidemment, de la mondialisation, du capitalisme financier ; c’est à cela que cela conduit, essentiellement, cela conduit à un effondrement social. La seule façon pour eux, en quelque sorte, de pacifier la population consiste à employer la politique de diviser pour régner. Vous allez donc voir des situations où vous avez une classe de travailleurs essentiellement wahhabitée en France ; ils sont wahhabités par les alliés de l’élite politique française, les Saudis et les Qataris, qui construisent des mosquées wahhabites un peu partout ; cela permettra de wahhabiter les jeunes, qui seront ensuite utilisés comme pions si vous voulez dans des conflits géopolitiques de plus grande envergure, dans des guerres par procuration contre la Russie, contre l’Iran au Moyen-Orient, etc.
Cela va entrainer de grands désordres sociaux, cela va diviser les travailleurs entre eux. Les seuls qui bénéficieront effectivement de cette situation seront les fabricants d’armes, le complexe militaro-industriel, médiatique et du renseignement. Alors, peu importe comment vous examiner les choses, je ne sais pas exactement qui a perpétré ces attaques et ces atrocités, mais les gens qui sont véritablement responsables, directement ou non, sciemment ou non, c’est le gouvernement français puisqu’ils ont été complices du terrorisme au Moyen-Orient et partout en Afrique. Il faut bien comprendre cela, et si nous ne comprenons pas cela, cela va continuer et les choses vont se détériorer. Nous allons nous retrouver dans une situation où nous serons assujettis à la loi martiale, si cela continue. Il faut bien analyser et comprendre de quoi il s’agit.
Permettez-moi de revenir sur la question des migrants et des réfugiés, parce qu’il semble que l’un des terroristes était un citoyen français, et un autre aurait récemment immigré en France ; selon vous, quelles seront les répercussions sur la politique française à l’égard de la crise des réfugiés ?
Je crois qu’il y a suffisamment de preuves pour suggérer, fortement en fait, que la crise actuelle – la crise des réfugiés est une crise qui se poursuit, par vagues, provenant de Libye, de Syrie par les Balkans. Mais je qualifierais la crise des réfugiés actuelle de migration organisée, une expression utilisée par Kelly Green, une professeure américaine qui a écrit un livre intéressant à ce sujet ; elle démontre que l’immigration peut être utilisée comme outil par un état pour déstabiliser un autre état.
Dans ce cas-ci, la crise est définitivement utilisée par les États-Unis et la Turquie pour déstabiliser les Balkans, l’Europe centrale (notamment la Hongrie), et l’Allemagne, bien sûr. Et les motifs géostratégiques pour ceci nous ramènent à la géopolitique classique, qui consiste à diviser « l’île » mondiale, c’est-à-dire que vous divisez la péninsule eurasienne de la Baltique à la mer Noire, pour créer une zone tampon visant à empêcher une union de l’Allemagne avec la Russie, et c’est pourquoi l’Allemagne est essentiellement submergée de gens qui sont eux-mêmes victimes de la mondialisation. Mais on les instrumentalise maintenant pour les employer comme armes de mondialisation. Il s’agit d’un composant essentiel de l’impérialisme américain contemporain : vous utilisez les conséquences de la mondialisation pour faire avancer la mondialisation.
Je ne crois pas qu’il existe une politique européenne visant à contrôler l’immigration. En fait, la question essentielle ne consiste pas à contrôler l’immigration, mais de stopper cette déstabilisation géopolitique de l’Europe. Certains pays tentent de le faire, notamment la Hongrie, ainsi que la Bulgarie dans une certaine mesure, en d’autres mots s’efforcer de déterminer qui sont les réfugiés légitimes et ceux qui ne le sont pas.
Par exemple, la Hongrie accorde la priorité aux femmes et aux enfants. Il s’agit de l’approche rationnelle, mais Viktor Orban en Hongrie a été vilipendé par l’Union européenne pour son insistance quant au respect des lois de l’Union européenne et de la Hongrie comme état indépendant. Ici, nous sommes dans une situation où le gouvernement français est totalement soumis aux exigences des États-Unis ; ce pays a été totalement conquis par l’impérialisme américain, tout comme l’Allemagne. La France n’a pas vraiment de politique étrangère. Elle fait tout ce que Washington lui demande de faire.