Par Alain Sanders
Axiome numéro 1 : c’est du Raoul Walsh – et du Walsh de 1941 – donc du bon.
Axiome numéro 2 : High Sierra a marqué la carrière de Humphrey Bogart qui, cantonné jusque-là dans des rôles de salopards avérés, accédait enfin à une position enviée de truand au cœur tendre.
Axiome numéro 3 : un polar en noir et blanc tendance Johnny Walker (« Jeannot le marcheur », comme disait Jean-François Chiappe), ça met du cœur à l’ouvrage.
Sorti du trou grâce à la protection d’un caïd, Roy Earle (Humphrey Bogart) ne trouve rien de plus intelligent que de participer à un hold-up. Ce qui, on s’en doute, ne lui vaut pas la sympathie de la police.
Réfugié dans les montagnes du sud californien, encombré d’une drôle de souris (Ida Lupino), Roy est désormais un homme traqué.
Avec ce rôle sombre, Bogart entrait dans la… lumière et, surtout, dans la légende. Il n’allait plus la quitter. Chesterfield au coin du bec, des tonnes de charme sous les paupières, un sourire retenu entre l’aveu méchant et le cynisme tendre, il partait pour quinze années de triomphes sur les écrans d’argent.
Du Faucon maltais (John Huston, 1941) à La Comtesse aux pieds nus (Mankiewicz, 1954) en passant par l’incontournable Casablanca (Michael Curtiz, 1943), Le Port de l’angoisse (Howard Hawks, 1945), African Queen (John Huston, 1951), il va imposer sa silhouette de héros fatigué, à l’opposé des héros bien propres sur eux.
Historiquement, c’est d’ailleurs le personnage de Roy Earle dans High Sierra qui a mis « à la mode » le personnage du loser. Au point que Huston confia presque immédiatement à Bogart le rôle du détective Sam Spade dans Le Faucon maltais, insistant sur les aspects romantiques de ce grand type désabusé.
Le culte du fading hero était né. Il n’allait plus mourir trouvant toutefois, peut-être, son ultime expression dans Le Samouraï (le chef-d’œuvre de Melville et le meilleur rôle d’Alain Delon).
High Sierra marqua à ce point la production cinématographique des années 1940-1945 qu’il ne s’en fit pas moins de deux remakes : Colorado Territory (par Walsh lui-même) et La Peur au ventre de Stuart Heisler en 1955 (avec Jack Palance et Shelley Winters). Aucun de ces deux films n’approche, même en passant, l’intensité sauvage de l’original (1).
Depuis, dans les sierras glaciales de Californie, quand le vent souffle et que les balles sifflent, le fond de l’air Humphrey.
(1) Sur le sujet, je ne saurais trop vous conseiller l’ouvrage qui fait autorité : Le Film noir américain 1940-1955 (Atelier Fol’Fer, BP 20 047, 28 260 Anet) de Nicole Gotteri.