Pas sûr que les passionnés de Jack London reconnaissent dans le film franco-italien de Pietro Marcello le chef-d’œuvre classique publié en 1909 aux Etats-Unis. Le premier changement déterminant est celui du cadre, puisque le réalisateur transpose le récit de la baie de San Francisco à celle de Naples, ville ouvrière du début du XXe siècle, par ailleurs théâtre représentatif de la montée du socialisme.
Martin Eden, marin pauvre, sauve un jour un jeune bourgeois en passe d’être roué de coups. Ce dernier l’invite chez lui, et lui fait rencontrer ses parents et sa sœur, dont Martin tombe immédiatement amoureux. Pour plaire à la délicate Elena Orsini, il va tout faire pour s’instruire et se met en tête de devenir écrivain. Après avoir goûté au fruit de la culture et malgré les échecs, le jeune homme poursuit obstinément dans cette voie. Mais le monde bourgeois qu’il admirait tant finit par révéler ses travers. Pris entre le marteau du libéralisme des élites et l’enclume du socialisme des classes laborieuses, Martin, devenu célèbre, se retrouve transfuge de classe, hanté par sa trahison et dégoûté de la vie.
Certes, le film rend bien l’esprit de désenchantement nietzschéen du héros jacklondonien, mais il aurait nécessité une mise en scène plus épurée.
Cette libre adaptation prétend se libérer de toute temporalité, en insérant des extraits d’archives, des images en couleurs ou en noir et blanc, en mêlant les époques, comme une sorte de grande mémoire du XXe siècle ; le cocktail donne finalement un résultat assez moyen, en tout cas loin de la rigueur qu’ordonnait l’adaptation d’une œuvre aussi difficile que celle-ci. •
Raphaëlle Renoir – Présent