Lodève, petite commune de l’Hérault d’un peu plus de 7 000 habitants, est nichée dans les hauteurs de l’arrière-pays de Montpellier. Son histoire s’est nouée à celle de ces femmes de harkis en 1964. C’est là que l’atelier de tapis a été installé pour relancer une tradition textile moribonde.
“À Lodève, on fabriquait du drap qui servait à confectionner les uniformes pour les armées”, explique l’écrivain lodévois Bernard Derrieu, auteur de plusieurs ouvrages sur la manufacture.
En 1962, les premières populations de harks sont rapatriées en France. Des familles entières sont installées dans des camps dits de transit et de reclassement, notamment à Rivesaltes, dans la région de Perpignan, et Saint-Maurice-l’Ardoise, près d’Avignon. Logées dans des tentes, puis dans des baraquements, leurs conditions de vie sont déplorables.
Paul Coste-Floret, professeur de droit à Alger, ministre à de multiples reprises sous la IVe République et maire de Lodève, propose d’accueillir des familles de rapatriés. Mais il faut leur trouver un logement et du travail.
“C’est alors que la préfecture entend dire qu’en Algérie, à Tlemcen, des actionnaires d’une fabrique de tapis, ‘La Carpette nationale algérienne’, voudraient rapatrier leurs intérêts en France”, raconte Bernard Derrieu.
L’idée est d’utiliser la main-d’œuvre des camps car certaines femmes tissent déjà des tapis traditionnels. En 1963, trois blocs de logements “Sonacotra”, ces foyers construits à l’époque pour loger les travailleurs, sont érigés sur un terrain cédé par la ville, près de la gare, pour accueillir les familles des futures employées.
Pour diriger la fabrique de Lodève, l’armée fait appel au chef d’atelier de l’usine de Tlemcen, Octave Vitalis. “L’armée le retrouve à Tarbes, où il s’est établi avec sa famille”, détaille Bernard Derrieu, “et le fait venir à Saint-Maurice-l’Ardoise pour recruter dans les camps et créer l’atelier qui s’établira à Lodève. Certaines femmes savent tisser, d’autres non.”
Le tissage se fait au point noué, aussi appelé “point turc”, une technique importée en France sous Henri IV. Pendant un an, une vingtaine d’Algériennes, essentiellement originaires de Mécheria, près d’Oran, apprennent le tissage de tapis de haute lice dans le Gard.
Ce n’est qu’en septembre 1964 que l’installation se fait à Lodève. Les hommes sont employés par l’ONF et les femmes, choisies par Octave Vitalis, sont employées dans l’atelier installé dans des baraquements militaires. Une crèche est même ouverte dans l’un d’entre eux.
“De 1964 à 1966, il y a une production de tapis typiquement lodévois : des tapis bâtards, pas berbères, ni industriels.”
En 1965, malgré le manque de débouchés commerciaux, et après les désengagements successifs du ministère des Armées, puis de l’Intérieur, c’est celui de la Culture, sous l’impulsion d’André Malraux, qui commence à s’intéresser à l’atelier de Lodève. “Pendant un an, des tests sont réalisés pour savoir si cette technique du point noué pouvait s’adapter à un tapis qui serait Mobilier national . C’est chose faite en 1966.”
À partir de ce moment-là, l’atelier de Lodève est rattaché à l’administration générale du Mobilier national et aux manufactures parisiennes des Gobelins et de la Savonnerie, créées au XVIIe siècle.
Les femmes doivent s’adapter à de nouveaux outils (broches, peignes, cartons, tranche-fils) et apprendre de nouvelles techniques de tissage utilisés pour les tapis de la Savonnerie .
Au fur et à mesure, Émile Philippon, chef de la manufacture parisienne, assure leur formation. Tant et si bien qu’elles parviennent à exécuter des copies de tapis du XVIIe siècle d’après les dessins du peintre Charles Le Brun, du XVIIIe siècle ou de l’Empire, qui habillent le sol des ministères, des représentations françaises à l’étranger, et même de l’Élysée.
Des tapis sont également fabriqués à partir d’œuvres d’artistes contemporains comme François-Xavier Lalanne ou Étienne Hajdu… Le tout dans des baraquements de fortune ! Ce n’est qu’en 1990 que la manufacture est installée dans des locaux en dur construits à l’entrée de la ville.