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Ancien rédacteur en chef à Marianne, Gérald Andrieu a tout quitté pour marcher d’octobre 2016 à mars 2017 de Dunkerque à Menton. Il en revient avec Le peuple de la frontière, carnets de voyage dans une France oubliée des élites politiques et médiatiques. Rencontre.
Avocat du « bougisme » et du « chaos créatif » propres au libéralisme économique, Emmanuel Macron ne semble pas le plus apte à entendre cet exil intérieur vécu par tant de Français…
En s’enfonçant dans la France, Gérald Andrieu a fait connaissance avec notre paysage spirituel. « L’athée que je suis a été impressionné par le nombre de calvaires, de clochers, d’églises… Une petite chapelle au fond des bois était parfois mon seul rapport à la civilisation de la journée ! Ceux qui nient nos racines chrétiennes sont fous ! », témoigne le marcheur, émerveillé.
« Le journaliste politique de ce début du XXIe siècle peut produire de « l’analyse » au kilomètre. Et se planter à chaque occasion ». Gérald Andrieu pèse ses mots : il fut rédacteur en chef de l’hebdomadaire Marianne, après avoir couvert la campagne présidentielle de 2012. Une expérience qui l’a laissé amer. Le copinage entre journalistes et politiques et la déconnexion des médias parisiens avec le reste des Français révulsent l’ancien localier formé à Nice-Matin, fils d’un aide-mécanicien ayant combattu en Algérie. «J’ai ressenti beaucoup de colère devant ce qu’on nous demande de faire, dans le métier. Nous ne pouvons plus nous plaindre d’être de moins en moins lu, et continuer à nous comporter ainsi ! Je voulais rompre avec ça», confie ce géant au visage émacié, la barbe demi-sel. Admirateur de Jack London, il décide alors de renouer avec du journalisme de terrain, en cédant à « la mode la plus antimoderne qui soit » : la marche. Devant le flot incessant de Twitter et des chaînes d’info en continu, « la marche s’est imposée comme une manière de ralentir ».
Pour aller au plus près de cette « France périphérique », située hors des radars médiatiques, Gérald Andrieu parcourt 2 200 km le long de la frontière terrestre française, de Bray-Dunes (Nord) jusqu’à Menton (Alpes-Maritimes). Pour lui, la délimitation du territoire national revêt une puissante symbolique : « la frontière est un enjeu politique ! Nos élites affirment qu’elle n’existe plus, que l’Europe l’a effacé, mais elle est toujours là. Par elle, passent tous les sujets : les délocalisations, l’immigration… La frontière sert à se définir soi-même, et qui est l’autre. C’est un filtre », plaide-t-il fougueusement. […]
Sous la plume de Gérald Andrieu, point d’emphase ni d’analyses politiques fouillées, mais des faits, de l’observation et des paroles rapportées. « La France frontalière, c’est d’abord un univers vide d’êtres humains. Plus de commerces, plus de services publics, les lieux où les gens se croisent sont les bars et les supermarchés », raconte-t-il. Chez les «frontaliers», l’angoisse du déclassement social et économique s’ajoute à l’insécurité identitaire, la peur de l’islam et des migrants. Les pas de Gérald Andrieu le mènent ainsi jusqu’à la mosquée turque de Wissembourg (Bas-Rhin), que fréquentait Foued Mohamed-Aggad, un des kamikazes du Bataclan. Arpentant ces anciens bastions communistes du nord et de l’est massivement passés au Front national, le pèlerin note scrupuleusement les derniers résultats électoraux des communes où il s’est arrêté. Dans nombre d’entre elles, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon arrivent en tête, avec une troisième candidate : l’abstention. […]