Les calculettes ont de l’avenir quand la vie morale devient une affaire de risques à mesurer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est illustrée dans cet art moderne du calcul éthique en réagissant, fin juillet, à la naissance de jumelles génétiquement modifiées en Chine début 2019. « Les autorités réglementaires de tous les pays ne devraient autoriser la poursuite d’aucuns travaux dans ce domaine jusqu’à ce que leurs implications soient bien considérées », a déclaré le directeur général de l’OMS, laissant entendre que la démarche de modifier génétiquement un humain ne pose pas, comme telle, de problème, pourvu que l’on en établisse les conséquences et que l’on mesure le ratio gains/pertes. Généticien est donc un métier d’avenir, tout comme celui de statisticien.
La morale, un simple art de débattre ?
En France, la démarche intellectuelle est à peu près la même et l’on pourrait même dire que la politique est devenue l’art de résoudre les conflits en évitant un maximum d’obstacles électoraux et financiers, ce calcul prenant l’apparence d’une démarche « éthique » pourvu que l’on discute et que l’on questionne. Comme si la morale n’était que l’art de débattre. Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit qu’« il n’y a pas de bonne réponse “éthique” de la bioéthique. Il n’y a que des questions. (…) L’éthique n’existe pas en tant que telle. C’est la réflexion qui, par son existence même, mettant en tension des finalités contradictoires, peut se revêtir de l’éthique ». Une approche que ne démentent pas les travaux menés en ce moment à l’Assemblée nationale en prévision du vote de la nouvelle loi de bioéthique, pas plus d’ailleurs que l’immense cacophonie nationale qui a tenu lieu d’États généraux de la bioéthique en 2018. L’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires ou en couple homosexuel est passée, comme le reste, à la moulinette du « débat » si bien qu’il est de plus en plus difficile de raison garder.
Voilà que Jean-Louis Touraine, rapporteur du texte de loi, met en avant des études anglo-saxonnes selon lesquelles les enfants nés par PMA se portent aussi bien que les autres. Et le président du CCNE, Jean-François Delfraissy, de répondre que les députés devraient doter la France d’outils d’évaluation vraiment sérieux.
Autrement dit, à la question morale de savoir s’il est juste de faire naître des enfants par une manipulation technique qui contourne ou remplace l’acte sexuel, les têtes pensantes de la bioéthique en France répondent par la psychologie : si la PMA n’a pas de conséquences psychologiques négatives, alors elle est un acte juste. Un raisonnement à faire s’étouffer un logicien mais qui est devenu tellement courant dans notre manière de penser la politique que nous peinons à y échapper.
Tous les arguments possibles
Pourquoi, après tout, ne pas faire feu de tout bois et, si nous avons décidé de nous battre pour la défense de la famille, lancer comme autant de flèches tous les arguments que nous pouvons trouver, quitte à racler les fonds de tiroirs ? C’est, par exemple, s’opposer à la PMA « pour toutes » au motif qu’elle représente un coût financier trop élevé pour la Sécurité sociale qui, d’une part, n’est pas exactement florissante comme chacun sait, et n’est, d’autre part, pas destinée à financer des actes autres que strictement médicaux.
Est-ce à dire que si Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et première fortune mondiale, décidait, par un effet de sa grande bonté, d’ouvrir en France un fonds spécial de financement de PMA pour toutes les femmes qui le voudraient, la chose deviendrait légitime ? Non, évidemment, parce que la moralité d’un tel acte ne dépend pas de circonstances purement économiques ou liées à l’organisation des soins au sein du pays.
Qu’un juriste puisse expliquer les implications législatives de l’extension de la procréation médicalement assistée aux femmes seules ou aux femmes en couple homosexuel est évidemment nécessaire. Qu’un travail d’expertise soit mené sur les conséquences psychologiques du travestissement de la filiation l’est également. Mais nous devons nous garder de toute confusion méthodologique… et faire en sorte que philosophe, plus que statisticien, redevienne un métier d’avenir. C’est d’abord là que se joue tout combat de civilisation.