La “science” du QI… (Vidéo)

Lorsque nous évoquons des sujets tels que l’astrologie ou la voyance, la plupart du temps nous avons affaire à des personnes qui croient, ou qui veulent croire, que leurs fantaisies favorites existent réellement dans le monde réel. Ils ne veulent souvent pas regarder la réalité de ce monde en face sans y associer les qualités respectives atténuées (bien qu’imaginaires) que leur offrent ces fantaisies. Ils pourraient être embarrassés par le gros défaut faisant qu’elles n’existent pas dans le monde réel, mais elles ont l’avantage de faire du monde un endroit plus sûr où vivre.

Il est un sujet particulièrement sensible dans les sciences sociales, qui pourrait s’approcher de cet état d’esprit : celui des tests de QI. Ces test brossent une image si certaine et parfois si encadrée de la nature humaine, qu’il est légitime de s’interroger sur leur bien fondé et sur les conclusions qu’on en tire.

Qu’est-ce qu’un test de QI ?

Quand on parle de tests de QI, l’image la plus fréquente est peut-être celle-ci :

a) “2 6 4 5 15 13 14 _?_”

Ou plus simple :

b) 2 5 9 14 20 _?_

Je suis pratiquement sûr que vous avez trouvé qu’en b) le nombre manquant est 27, étant donné que 3 est ajouté à 2 pour produire le nombre 5, que 4 est additionné à 5 pour faire 9, que 5 est ajouté à 9 pour donner 14, etc. La différence entre un nombre et le suivant augmente de 1 à chaque fois.

Ces exercices peuvent être de plus en plus difficiles, par exemple, en doublant le nombre qui sera ajouté chaque fois :

c) 2 3 5 9 17 _?_ (= 33)

Finalement, il est possible d’utiliser plus d’un type d’opération d’un nombre à l’autre. Par exemple, vous pourriez faire une substitution entre trois nombres différents et répéter la procédure.

d) 5 7 14 11 13 26 23 _?_ (= 25)

En premier vous additionnez 2, puis multipliez par 2, soustrayez 3, et répétez la procédure en trois temps.

Ainsi, le challenge est très simple : il faut trouver quelle procédure a été utilisée par l’inventeur du test dans chaque cas. Et tout comme pour les mots croisés, la règle s’applique également aux tests de QI : plus vous aurez fait de tests, plus cela vous semblera facile.

Tout comme dans d’autres exercices similaires, pensez encore aux mots croisés, certaines personnes sont bonnes à ce petit jeu et d’autres non. Certaines personnes apprennent vite, d’autres prennent plus de temps.

Vous pourriez vous dire : si des gens trouvent ce genre d’exercices amusants, pourquoi ne pas les laisser s’amuser eux-mêmes avec ? Il y a bien des gens qui payent pour acheter des magazines de mots croisés, donc pourquoi pas ?

La science du QI

Mais contrairement aux mots croisés, il ne s’agit pas seulement d’un jeu. C’est une science sérieuse ! Cela fait partie de la psychologie et du comportemental. Il ne s’agit pas seulement de gens qui font des mots croisés pour s’amuser. Nous parlons d’un moyen supposé mesurer ce qui caractérise, et différencie, les membres de l’espèce humaine.

C’est une notion très enfantine, il est clair pour tout le monde que si vous résolvez une grille de mots croisés, c’est que vous en avez les capacités. Mais la conclusion inverse est plutôt inepte. Si vous ne la résolvez pas, cela ne signifie pas que vous êtes incapable de la résoudre, dans le sens que vous manquez complètement et durablement des pré-requis naturels pour ce faire. Cela signifie seulement que vous ne pouvez pas le résoudre maintenant. Si vous apprenez les principes des mots croisés, et peut-être aussi quelques mots étrangers ou des noms de dieux et déesses Grecs ou scandinaves anciens, vous serez probablement capable de les remplir la prochaine fois.

C’est comme pour les exercices reposant sur des nombres que nous avons vu au début : dès lors que vous en comprenez le principe sous-jacent, il devient extrêmement plus simple de faire cette gymnastique mentale. Cependant, si vous ne comprenez pas les principes et si vous n’êtes pas capable de les découvrir, les exercices ne pourront pas être résolus jusqu’à ce que vous ayez la connaissance nécessaire. Par exemple, vous pourriez être incapable de faire l’exercice b) si vous n’êtes pas familier avec l’addition, et a) et d) exigent la connaissance de la multiplication et de la soustraction.

Ceci explique à la fois le phénomène selon lequel “à travers le monde l’intelligence croit de 3 points par décennie” et les supposées différences raciales que certains fanatiques du QI pointent avec un certaine joie : lorsque vous dites que le score de QI moyen des français de type européen est 100, que le QI des français d’origine africaine est 85, et vous ne le mentionnez presque jamais par prudence mais les noirs habitants l’Afrique ont un QI de 70.

En d’autres termes, quand les exercices d’un test de QI sont distinguables des exercices des écoles, ce sont donc le type d’exercice que vous devez beaucoup mieux résoudre quand vous avez appris les disciplines enseignées à l’école, il n’est pas surprenant que le fait d’étendre la présence scolaire conduise à un “score de QI” plus haut, et que le manque de scolarité mène à un score considéré comme du niveau du retard mental. C’est un fait que les théoriciens du QI n’aiment pas vraiment : ils ne sont pas tellement conscients du fait que vous pouvez facilement améliorer vos facultés de résolution des tests de QI, et ainsi augmenter votre score. Ils savent pourtant que la population moyenne des pays industrialisés ayant été scolarisée régulièrement a amélioré d’au moins 30% ses résultats aux tests au cours du 20° siècle.

La contradiction de la théorie du QI

D’un autre côté, vous ne devriez pas pouvoir modifier votre QI, de ce fait l’augmentation de 30% est considérée par certains comme un “effet vide”, “sans aucune valeur pratique” ou juste comme “une espèce de coquille dans la méthode de mesure parce qu’entre temps les gens ont appris les principes (sic) des différents tests”.

Ce qui est une contradiction dans les termes. Quand vous apprenez les principes sous-jacents des tests de QI, vous êtes meilleur dans leur résolution (ce qui n’est pas surprenant), et donc votre score, i.e. votre QI, augmente, mais il ne devrait pas croître étant donné que c’est supposé être, d’après les partisans du QI, une constante naturelle. La tendance du QI à augmenter n’est pas causée par une augmentation de l’intelligence des gens, mais par le fait qu’ils ont appris comment faire les exercices ce qui, de l’opinion de certains testeurs comme Nyborg, est une forme de tricherie. Vous ne devriez pas convoiter le QI de votre voisin, ni l’améliorer vous-même ! De ce fait l’augmentation de la mesure est déclarée comme nulle et non avenue.

Résumons-nous :

1- Les tests de QI sont supposés mesurer l’intelligence des gens,
2- Ceux qui connaissent, non pas les exercices spécifiques, mais les principes sur lesquels ils reposent, réussissent plus facilement à les résoudre ce qui leur confère des scores de QI plus élevés,
3- Selon certains professionnels du QI qui proposent ces tests, il n’existe cependant aucun moyen d’augmenter son intelligence,
4- mais les scores de QI refusent d’obéir à cette loi de la nature et continuent à croître,
5- de ce fait les tests de QI ne mesurent pas l’intelligence des gens du tout, mais sont entachés d’erreurs, vides, sans valeur, etc.
6- ce qu’ils ne peuvent évidemment pas être au risque de mettre à mal toute la discipline (retour au n°1)

Naturellement, les avocats du QI ne font pas trop de bruit sur cette contradiction. Ils ne la mentionneraient probablement jamais s’ils n’avaient pas été confrontés à cette augmentation de 30% du QI, ni à des gens prêts à douter de leur pertinence.

Imaginez un météorologiste dans un dilemme identique : d’un côté il déclare que son thermomètre mesure la température actuelle. D’un autre côté qu’il est convaincu que, en général, il ne peut pas faire plus chaud. Pourtant, maintenant son thermomètre lui indique que les températures en général ont augmenté, ce qu’il refuse d’accepter. Ainsi il déclare que les mesures en augmentation générale (qu’il ne peut pas nier) sont seulement une “espèce de coquille dans les méthodes de mesure”. Quand le thermomètre montre une augmentation des températures, ce n’est pas parce qu’il fait plus chaud : c’est la température seule qui augmente !

Pourquoi les partisans du QI sont-ils si ennuyeux ?

Helmuth Nyborg veut prouver qu’il existe un supposé “facteur g” pour “general intelligence” qui, par définition, est naturel et inaltérable. Son type particulier d’ennui n’est pas un défaut de la nature et dans son cas l’éducation ne peut pas être blâmée, du moins pas directement. Nyborg n’est pas doté d’une sorte de “g” très pauvre l’empêchant de voir que les mortels ordinaires n’ont pas besoin de trop forcer leur cerveau pour s’accrocher. Il est ennuyeux par le modèle qui est une matière totalement différente. Depuis qu’ils ont un os à ronger, lui et ses collègues voudraient oublier que le “QI” est quelque chose d’instable et facilement influençable par l’éducation : ils voudraient présenter la hiérarchisation sociétale d’une génération après l’autre comme étant le résultat des qualifications naturelles de chaque individu.

On sait que l’école et le système éducatif en Occident gravitent autour de la sélection : les étudiants/élèves les plus performants ont l’opportunité de passer au niveau supérieur dans la hiérarchie éducative, tandis que les étudiants qui ne font pas aussi bien sont privés de cette opportunité. Ce n’est pas un secret que les rangs les plus hauts dans la hiérarchie de l’éducation mènent aux rangs les mieux payés dans la hiérarchie des emplois. Ainsi : “de nombreuses études ont montré que les scores de “g” dans les écoles (i.e. leurs résultats aux tests de QI) peuvent prédire avec précision combien ils gagneront 30 ans plus tard”.

Mais Nyborg et ses collègues sont champions pour retourner les causes et les effets, quand ils interprètent les connexions entre leurs mesures de QI et le succès des individus.

“g” en tant que dogme social

Comme mentionné plus haut, les théories du QI reposent sur l’idée d’une intelligence générale. Ils pensent avoir découvert un pouvoir naturel existant, “g”, en ayant testé des sujets à faire des exercices y relatifs, par exemple, le langage, la logique/maths, l’orientation dans trois dimensions et la musique. Étant donné que les gens qui sont bons à un type d’exercice tendent à être bons dans les autres, mais peut-être pas dans la coordination moteur (comme la danse ou le ski), Nyborg et sa suite ont décidé que cette “corrélation” devait être due à un pouvoir “g”.

Richard Lewontin, généticien et épistémologue, a nommé cette procédure la “réification” : reposant seulement sur ce qu’ils veulent croire, ils en arrivent à la notion que quand les gens ne font pas les choses d’une manière également bien, cela doit être dû à l’existence d’une espèce de substance dont certaines personnes seraient dotée en totalité, tandis que les autres reçoivent moins que leur quote-part à la naissance. Cette assertion est aussi fiable que s’ils avaient affirmé “comme preuve de l’existence de dieu le fait qu’il soit écrit dans la Bible qu’il existe”.

En accord avec leur invention du “g”, les théoriciens du QI font des études sociales. A la question : “Cela (la théorie du QI) ne contribue-t-il pas à créer une société de classes (divisée entre) les intelligents et les idiots ?” Nyborg répond : “Non, c’est une incompréhension de dire que cela créé une société de classes. Nous avons déjà une société de classes. Ce que la plupart des gens ne savent pas c’est qu’elle est divisée par le critère de l’intelligence, donc que nous en parlions ou non, cela existe déjà”.

En d’autres termes : l’existence de balayeurs de rues sous payés et de chirurgiens aisés, de chômeurs longue durée et de ministres de l’éducation prouve que le QI est à l’oeuvre. Sans la différence entre QI, nous appartiendrions tous à la même classe. Mais les différences sont un fait de la nature irréparable et de ce fait exigent une hiérarchie des professions. Comme mentionné plus tôt, l’intelligence diffère de l’éducation car elle ne peut pas être enseignée : “Si vous n’êtes pas très intelligent, nous ne savons pas du tout comment le réparer aujourd’hui !”.

Ici, les implants de silicone, les appareils dentaires ou les cours de rattrapages ne peuvent pas vous aider à corriger des déficiences réelles ou imaginaires ! Selon Helmuth Nyborg notre “QI” héréditaire “fonctionne” d’une façon telle que le reste de nos vies, de l’école au travail, sont héréditaires “en pratique”.

Ainsi, l’intérêt dans le QI est un intérêt dans l’invention de différences entre les gens, différences naturelles, afin de justifier les différences actuelles qui, dans le monde réel, sont créées par d’autres, par leurs intuitions qui sont, elles, tout sauf naturelles. Le QI est à la fois un instrument de sélection et la justification de cette même sélection. Dans cet optique, ce qui compte ce sont les différences supposées inaltérables entre les individus, et non pas les progrès que ces mêmes individus doivent faire quand le QI d’un groupe ethnique entier augmente.

L’intérêt dans la sélection est très différent de celui qui est de rendre les gens plus intelligents en les éduquant. L’intention est exactement à l’opposée. Ainsi, retreindre l’admission de certaines personnes dans certaines écoles publiques, sur les bases de leur éducation, a seulement une valeur pratique et les psychologues du QI seront capables de leur expliquer que cela n’est pas simplement dû à une décision de l’état qui admet certaines personnes, mais en exclut d’autres. Selon les avocats du QI, la sélection et la hiérarchisation du système éducatif n’est pas seulement une décision de l’état. Comme c’est établi par la science du QI, cela est causé par la nature, par la réalité objective : le potentiel naturel des individus est responsable s’ils ne sont pas admis au lycée. Cela veut tout simplement dire que la nature l’a affirmé elle-même. “Malheureusement”, leurs gènes ne leur permettent pas d’avoir le score de QI nécessaire et donc le niveau exigé pour avoir l’éducation qu’ils désirent.

Le même argument est utilisé pour expliquer la hiérarchie des emplois : les employeurs veulent seulement embaucher (et payer) les meilleurs (quand ils ont la possibilité de choisir), ils pourraient de ce fait refuser les fumeurs, les gros, les chauves, les femmes, les noirs, les musulmans, les durs de la feuille, les mal voyants, les cinquantenaires, ceux nés sous le signe des Poissons. Cependant, parfois, de telles discriminations sont dénoncées et les employeurs condamnés. Par contre, il n’est pas considéré comme discriminant de ne choisir que les plus brillants. C’est, dans ce cas, dans l’intérêt des entreprises et donc pas de la discrimination. Ainsi, les tests de QI sont devenus très populaires quand il faut boucher les postes vacants, en effet il n’y a pas de raison de croire que les psychologues du QI (ou psychomotriciens) sont moins efficaces que les “astrologues financiers” dans les processus de recherche. L’utilisation des tests de QI par les DRH a donc ce merveilleux effet de faire que les théories du QI deviennent des prophéties auto-réalisatrices quand elles procurent les résultats prédits par leur propres pronostics : “son QI est trop faible, il n’aura jamais d’emploi stable, n’est-ce pas ce que nous avons toujours dit ?”

Cependant, cela ne veut pas dire que les gens avec moins que l’ultime score de QI sont trop stupides pour se trouver aux positions auxquelles ils ne sont pas. S’il y a 100 postulants pour 10 emplois, 90 seront rejetés, quelques soient leurs qualifications, score “g” compris !

Malheureusement, personne ne veut éliminer le problème sous-jacent. Le marché du travail libre et égal garantit que certaines personnes auront du travail et d’autres non. Les critiques de la sélection dominante pourraient se plaindre quelque peu à propos de l’inégalité de tout cela : trop de femmes ou postulants “d’autres ethnies” sont éliminés. Que les positions devraient être remplies afin de refléter les moyennes démographiques de la population, ce qui est un idéal soumis incompatible avec une société de compétition. Être rejeté sur la base d’un strict principe politiquement correct n’est pas très utile pour les demandeurs d’emploi.

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