Vincent Cespedes n’est pas un rappeur comme les autres. Dans son dernier clip, « Bouger vers la zik », il n’est en effet question ni de grosses cylindrées ni d’enfance difficile. Mais du drame des migrants. L’ambition du philosophe féru de hip-hop ? Changer le monde, ni plus ni moins. Son credo ? « La crise migratoire peut être notre chance » – hypothèse puissamment subversive et originale, et à laquelle aucun média n’a jamais donné voix, c’est bien connu ! Sa méthode ? Ne croyant plus dans la vertu des livres et de la raison, le penseur s’en est donc remis à « l’émotion », seule capable, confesse-t-il, de faire « bouger les consciences ». Étrange philosophie qui troque la sagesse contre la passion, dans un monde où elle règne déjà en souveraine absolue ! Pour arriver à ses fins, Vincent Cespedes n’hésite d’ailleurs pas à sortir l’artillerie lourde, recourant à toute une batterie d’images chocs, avec force bateaux en perdition et autres fils barbelés. Pour faire pleurer dans les chaumières. C’est toujours plus facile que d’y faire penser.
Si la nature a horreur du vide, le philosophe a manifestement horreur de l’immobilité. « Bouger » : telle serait l’aspiration sublime et définitive de l’être humain régénéré, enfin émancipé de sa terre natale, « contrairement à ces crétins de dinosaures » – ils apprécieront. Car le texte de son rap n’est pas seulement un appel à l’accueil humaniste des réfugiés : il est une véritable invitation au mouvement perpétuel. « Bouge, bouge, bouge », martèle le rappeur aux aspirants migrants. « Bouge, bouge, bouge, La tise-bê [bêtise] veut t’immobiliser ! »
Le philopsophe-rappeur a manifestement pris en haine les vertus de l’ascèse et de l’assise. Il a pris en grippe le droit des hommes à disposer de la terre de leurs ancêtres. Il a appris à détester l’enracinement. Dans son militantisme nomade, Vince – puisqu’il se fait désormais appeler ainsi – ne se contente pas de sommer les migrants de courir vers le monde occidental. Il se propose aussi d’insulter les hommes et les femmes du Nord afin de les réveiller. « Millions de nés-là-bas, voulant sortir de l’impasse ; les nés-ici aboient, mais la caravane infinie passe. » C’est bien connu, on capte la bienveillance de ses auditeurs en les traitant de chiens !
« Tous nomades, accueillants, Tous vers le flux ! » « Survis, pars et trace ta voie ! Turquie : pas besoin de visa ! » On comprend désormais la philosophie de Vincent Cespedes. La loi ? Marchons-lui dessus ! La légitimité du sol et du temps ? Crachons sur elle ! Les dangers d’une traversée hasardeuse en haute mer ? N’ayez pas peur, amis migrants : les vagues aussi sont une vue de l’esprit ! Armé de sa petite morale personnelle, Vince balaie d’un revers de manche les lois du monde – et jusqu’à celles de la gravité. Irresponsable en tout, il aura au moins réussi à prouver à la caste des bien-pensants qu’il appartenait au camp des gentils. Pour un rappeur, ce n’est pas très vendeur. Mais ça permet d’être invité sur les plateaux télé du service public.
Thomas Clavel – Boulevard Voltaire