Le Parisien et L’Obs ont eu accès au dossier d’instruction des attentats de l’Aude, et notamment à la partie concernant l’attaque du Super U de Trèbes qui a coûté la vie au colonel Arnaud Beltrame, tué par Radouane Lakdim, le 23 mars dernier. Un récit minute par minute qui laisse apparaître un temps de réaction bien long des forces d’intervention alors que la situation s’envenimait à l’intérieur du supermarché.
Combien de temps s’est-il déroulé entre le signal donné par le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame et l’intervention du GIGN, ce 23 mars 2018 dans le Super U de Trèbes (Aude) ? Quelques secondes, plusieurs minutes ? Nul ne le sait vraiment, même si les premiers éléments de l’enquête avaient laissé à penser qu’il y avait eu un délai qui aurait pu être raccourci. Le Parisien et L’Obs ont pu avoir accès au dossier d’instruction des attaques perpétrées par Radouane Lakdim dans le département ce jour-là et qui ont mené à la mort de quatre personnes dont le militaire qui s’est sacrifié pour sauver la vie d’un otage. Un geste héroïque gravé dans la mémoire collective, mais qui n’empêche pas une enquête d’avoir lieu sur les circonstances de son décès.
D’après le document qu’ont pu consulter les deux médias, il apparaît que “des interrogations subsistent sur les circonstances précises de cet assaut”. Le parcours de Radouane Lakdim est relaté depuis le petit matin lorsqu’il tue un homme et en blesse un autre à Carcassonne, en passant par la fusillade sur un groupe de CRS qui faisait un footing (l’un d’eux sera touché au poumon et à l’épaule) jusqu’à son périple mortel au supermarché. Là, après s’être garé, il pénètre dans le Super U, y abat un employé et un client avant de se retrancher dans le bureau avec une caissière retenue en otage.
C’est alors que les gendarmes du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) de Carcassonne prennent place et encerclent les lieux. Le lieutenant-colonel Beltrame se joint à eux. Il est alors 11h24. “Je n’aurais jamais pensé qu’il descende avec nous”, témoigne un sous-officier repris dans Le Parisien. Et un autre d’ajouter : “Il connaissait les techniques d’intervention dans le cadre de ce genre d’affaires. Donc il pouvait très bien se trouver là.” L’officier prend progressivement les choses en mains alors que des négociations sont entamées avec le preneur d’otage de 25 ans. “Le colonel s’est redressé en levant les mains en l’air”, raconte commandant du PSIG. “J’ai encore crié au colonel en lui disant : ‘Non colonel, reculez’. Mais le colonel s’est dirigé vers l’individu en lui disant : Lâchez-la et prenez-moi à sa place”. Une attitude qui surprend tous les membres des forces d’intervention présents. “Tout le monde était dans l’incompréhension avant d’envisager qu’il s’agissait sûrement de la meilleure façon de sauver la vie de l’otage”, relate un gendarme dans le dossier d’instruction.
L’otage est relâchée et Arnaud Beltrame se retrouvent enfermé dans le bureau avec l’assaillant. Les gendarmes expliqueront n’avoir à aucun moment la possibilité de tirer sur Lakdim, involontairement protégé dans le champ de vision des tireurs par le colonel ou la caissière. Un peu avant 14h, le GIGN arrive de Toulouse pour prendre le contrôle des opérations. A 14h13, le négociateur du groupement tente d’appeler le gendarme sur le portable qu’il a gardé avec lui. “Il est devant moi avec deux pistolets chargés”, déclare alors Beltrame dans un enregistrement rapporté par L’Obs. Le djihadiste se joint à la conversation sur haut-parleur et réclame un échange : “J’ai demandé qu’on fasse un échange : le lieutenant-colonel gendarme contre Salah Abdeslam, Fleury-Mérogis.” ” Vous savez très bien que ça ne se fait pas comme ça, non”, lui répond le négociateur. “Ah ben il faut vous bouger là-haut”, rétorque le terroriste ajoutant : “On est là pour la mort […] en martyrs”. Même les tentatives d’empathie en évoquant sa mère n’auront pas d’emprise sur Radouane Lakdim, bien décidé à aller au bout de sa mission.
Le Parisien revient ensuite sur les derniers instants d’Arnaud Beltrame tirés de la retranscription de la bande audio sur le procès-verbal : “Attaque… Assaut, assaut”. Il est ensuite fait mention de “bruits de lutte et cris d’une ou deux personnes”, signale le quotidien qui note que personne, du côté des unités d’intervention, ne semble réagir et prendre conscience de la situation. “Qu’est-ce qu’il se passe ?”, demande à trois reprises le négociateur avant d’enchaîner les questions à l’attention du djihadiste comme du militaire, mais qui resteront sans réponse.
On apprendra par la suite qu’Arnaud Beltrame a été égorgé très probablement à ce moment-là. Le procès-verbal fait état à cinq reprises de “bruit de râle” alors que le lieutenant-colonel est sans doute en train d’agoniser. “Si tu es blessé, Arnaud, grogne un coup… C’est toi, Radouane, tout ce bruit ?”, demande le négociateur. Le Parisien précise ensuite, citant sa source proche du dossier, que la retranscription ne rend pas compte de la situation extrêmement confuse au moment des faits, ce qui expliquerait que les râles n’aient pas forcément été perçus comme tels, mais évoque “un brouhaha de trente secondes” entre la fin de la conversation et les coups de feu. Le Parisien évoquait en avril un délai “plutôt de 10 minutes” avant que le GIGN ne donne finalement l’assaut, information impossible à confirmer ou infirmer avec le procès-verbal de la bande-son qui n’a pas été horodaté.