L’insulte chic!?

Ils sont entrés dans le dictionnaire, actés par les académiciens, acceptés par la majorité, mythifiés par les stand-ups prétendument comiques – le lâcher de salopes de Bigard, c’est la comtesse de Ségur 2.0 – et il suffira d’écouter « Les Grosses Têtes » de Laurent Ruquier sur RTL pour s’édifier : les jurons, insultes et autres gros mots volent haut, bas, sont légion et font autorité. À croire que le syndrome de la Tourette frappe désormais 99% de la population. Bite-con-cul-zob ou le nouveau pipi-caca des adultes prétendument éduqués et cools. Y ajouter l’usage du mot « putain », mis à toutes les sauces, pour commencer une phrase, la finir, exprimer un avis, le ponctuer. Dans Dessine-moi un Parisien, Olivier Magny n’écrit pas autre chose : le mot putain « ouvre » son livre en énonçant une théorie « lexico-médicale » selon laquelle « putain » serait devenu un mot-béquille exprimant « colère, frustration, brutalité ». Ce serait aussi un outil d’intégration sociale. Ce qui corrobore la thèse molle du genou avancée par d’aucuns d’un individu post-moderne sous pression permanente qui recourt à l’insulte et à la grossièreté comme autant de soupapes pour se soulager. Bordel de bite en béton. Exutoire et défouloir… Et surtout rien de nouveau si l’on considère la délectation connue de tous que le philosophe Arthur Shopenhauer mettait à insulter et vilipender ceux qui l’entouraient, y compris sa chère maman qui n’en demandait pas tant.

Redoubler de grossiéreté

Impénitent défenseur et fervent pratiquant de l’insulte, le gaillard livra moult écrits – réunis en un recueil/montage largement posthume intitulé L’art de l’insulte paru en 2004, où il se révélait imaginatif en la matière tout en justifiant de l’usage de la chose. Genre, quand l’insulteur est grossier, on doit redoubler de grossièreté. Pas du genre à tendre l’autre joue, Schopi. Et de graduer les effets : coup, bâton, gifle, crachat… Du grand art. Exemple : « Si l’on s’aperçoit que son adversaire est supérieur et qu’on va perdre la partie, que l’on prenne un ton personnel, offensant, grossier. Devenir personnel, cela consiste à passer de l’objet du débat (puisqu’on a perdu la partie) au contradicteur lui-même et à s’en prendre à sa personne […] ». Dont acte. Et comprendre que l’insulte nécessite un certain talent digne de Machiavel. Voire un haut degré de créativité. Le hic est que l’insulté risque d’y comprendre que couic et que tous ses efforts stratégiques tombent à plat.

Passons donc sur le banal arsenal d’insultes brandi et décoché chaque jour au tout venant par le vulgaire p-cul (vulgum pecus pour les amateurs de « craductions »). Aux orties les « cons » et tout ce qui s’ensuit mais on prendra soin de garder une expression un brin « audiardesque » et franchement réconfortante: « Faut pas parler aux cons, ça les instruit ». Moins insulte que sentence, mais toujours efficace. Autre dérogation : « Il est tellement con qu’il en peut plus », fort usité dans le Sud. Aux orties également les injures caillerasses dont on se fiche comme de l’an 40 et les trucs du style raclure de bidet, trace de pneu, résidu de fausse-couche, franchement éculés.

Rénovons le lexique, introduisons des insultes étrangères, prenons le juste ton pour les proférer. Oui, le ton est hyper-super-important : entre mépris et persiflage, un simple mot peu reluisant peut devenir un bombe à fragmentation ravageuse et laisser l’autre sans voix. C’est le but recherché non ? L’autre but consiste aussi à ce que l’assistance hésite à quitter une pièce avant vous, tant la crainte de s’en prendre une volée est grande. Redoutable et redouté : l’insulte intelligente y participe.

Insulte, injure, blasphème, gros mot. On frôle l’encyclopédie mais cracher son venin par cœur sera suivi d’aucun effet. Il faut une certaine élégance pour insulter avec esprit. On ne vous demande pas ici de vous transformer en la Sévigné du juron, pas plus que de verser dans la coprolalie spasmodique (Tourette again). Savoir jurer et insulter exige de l’éducation, sinon cela vire à l’imprécation, à l’offense, à l’infamie, à l’outrage. On ne vous demande pas, une fois encore, d’imiter la Liliane de « Scènes de Ménage » avec ses chapelets de Ahhh ! Crotte ! Crotte ! Crotte ! Zut ! Zut ! Zut ! Mince ! Mince ! Mince ! bien peu impactant, mais une esthéticienne ne jure pas. Elle pète pas et rote pas non plus. L’insulte oblige à prendre des tons différents – suave, mielleux, insolent, fâché, faussement colère. Sourire en insultant est un plus-plus qui bloque la riposte : pas de réponse possible. Insulter en faisant une moue méprisante accompagné de Pfffou ! sifflant comme une vipère invite à la joute, au défi, au duel. L’autre va rétorquer céans. La porte à l’insulte compte triple est ouverte, va va vooom !

Moule à gaufre et autre crétin des Alpes

Autre question soupesée avant de passer aux travaux pratiques : une femme peut-elle manier l’insulte sans passer pour une virago de première grandeur ? Et comment ! Question d’élégance vocale. Le pire des jurons, délicatement proféré, se réclame de l’art verbal le plus raffiné. Plus qu’un talent, un métier. Valérie Lemercier ne faisait pas autrement, à ses débuts, dans son fameux sketch des gros mots par défaut du calibre de concupiscent, mea culpa et autre De Gaulle. On ne va pas l’imiter, juste s’en inspirer. Sinon, se radicaliser en apprenant par cœur Conne, la chanson-confesse de Brigitte Fontaine.

Réinventer l’insulte ou comment se distinguer sans perdre son chic. Une piste : réactiver le réjouissant répertoire d’invectives chères au Capitaine Haddock : bachi bouzouk, moule à gaufre, cloporte, anthropopithèque, crétin des Alpes, et le pire, Judas ! Autre piste, explorer l’histoire avec le risque de passer pour une sorte de crevure en dentelles scotchée sur les Trois Mousquetaires : palsembleu ou vil faquin de butor sont VRAIMENT datés.

Écrémer les années cinquante et l’argot de Pigalle aura son charme mais la lecture du Savoir-vivre chez les truands pondu par Albert Simonin, divin auteur de Touchez pas au grisbi et scénariste des Tontons Flingueurs ne fera pas avancer le schmilblick. Selon lui, le malotru, le médisant, l’injurieux auront tôt fait d’être refroidis fissa. Une bastos dans le buffet e basta ! Ça calme…

Voici donc, en vrac et sans hiérarchie aucune, quelques insultes ultra-subjectives bien trempées et bien tournées qui vont vous changer du fatras bas-de-gamme où se décompose désormais un fumier fait de connards, connasses, gros cons, pétasses et autres souhaits avec double PA. À faire précéder, le cas échéant, de l’expression « espèce de ». Imbécile, crétin/e, idiot/e en tête.

– Schnock et vieux schnock. Désuet et surréaliste. C’est l’insulte préférée de Catherine Deneuve en voiture. C’est aussi le titre d’une revue estimable et admirable qui a replacé le schnock dans une orbite intello-hype salvatrice.

– Pauvre cloche, va ! Pour changer de connard. À prononcer sur le ton de la pitié et sans retour.

– Sale buse. S’adresse aux imbéciles patentés des deux sexes. Sur jouer le ton péremptoire.

– Morue volante. Désigne une garce. Même ton. merci.

– La mère des imbéciles est toujours enceinte. À proférer en sifflant de rage à l’adresse de quelqu’un qu’on estime vraiment idiot, sans espoir de rédemption. En gros : on est cerné.

– Allez-y, vous crèverez avant moi. S’adresse aux vieilles et aux « visonnées » du VIIIe arrondissement qui coupent la queue à la caisse du supermarché. On les laisse passer et on balance. Elles n’aiment pas ça du tout. Risqué si l’on est superstitieux. Le doigt de Dieu…

– Saleté, pourriture, cloporte. No comment. Tout est dit. Avec référent Tatie Danielle très appuyé.

– Bite à genoux. Lèche-cul, ventre mou, cireur de pompes. Un pov’type.

– Abruti ! Exprimé avec force, ça vise direct et laisse songeur. Efficace

– Salopiot, immonde salopard. Pour changer de salaud, guère plus usité. Ne porte pas grand préjudice mais ça soulage.

– Mais va te compter les cheveux ! Vise ceux et celles qui n’en fichent pas une rame. En gros : dégage ! À faire suivre de : pauvre tâche, pauvre cloche, abruti/e…

– Trou du cul du chat. Ravissante expression des beaux quartiers clôturant un bla-bla creux où l’autre parle pour rien. Aimable mais ferme. On ne se fâche pas.

– Étalagiste. Remplace « grande zoa » pour désigner des décorateurs ratés chouchous des magazines. Qualifier un interior designer d’étalagiste est un acte grave.

– Neo-con. Au départ l’expression désignait les néo-conservateurs nord-américains. Recyclée, elle englobe les cons cool de moins de 30 ans. Ce qui fait du monde.

– Buzzuro. Insulte italienne démodée mais efficace pour mettre à terre un ignare grossier. Usage chic à Paris au-dessus d’un Spritz.

– Sous-merde rampante. Qualifie avec dédain quelqu’un qu’on ne porte pas dans son cœur et qui a tout de vil. Tant pis pour lui/elle, fallait pas commencer.

– Cialtrone (prononcer tchialtroné). Insulte ritale visant le branleur vantard bon à rien qui se la pète. Ce qui fait du monde.

– Fille des rues, traînée. Pour changer de pétasse ou de cagole, avec caution littéraire XIXè à la clé. Pas violent mais insidieux.

– Spissig. Mot allemand horrible désignant tout ce qui plouc, vulgaire, et plus particulièrement les hommes, leurs fringues, leur voiture. À utiliser avec des pinzettes, ach !

– Philistin ! Défini par Ambrose Bierce dans son Dictionnaire du Diable comme esclave de la mode et de la sensation. Crétin inculte et souhaitant le rester sera plus juste. Ça fait encore du monde.

– Y’a pas grand chose là, hein ?! À dire en souriant à un homme et en regardant sa braguette. En bref : p’tite bite.

– Coyote à foie jaune, chacal gluant. Rien de pire pour disqualifier un concurrent en affaires.

– Chien d’ivrogne. À japper à l’adresse du chien en visant le maître. Malaise garanti en bout de laisse.

– Finocchio. Tarlouze en italien. Traiter quelqu’un de fenouil (finocchio) sans craindre le procès pour discrimination ne manquera pas de sel.

– Voleur de bite ! Insulte grecque figurant au top 10 du Parthénon des jurons hellènes. Y’a pire, mais celle-là sera toujours la plus élégante dans la bouche d’une jeune fille en toge.

– Troja (prononcer Troia). Insulte italienne majeure référée au comportement d’Hélène de Troie. En résumé : grosse pute divine.

– Carrughja. Cagole corse. Ou charretière, bien connue pour jurer. À utiliser avec précaution sur l’île comme sur le continent. Quoi ma sœur ?

Et pour finir, la plus jolie des insultes chic sera celle qu’on s’autorisait enfant quand jurer et blasphémer était totalement prohibé : « J’te dis les cinq lettres » (m.e.r.d.e) !

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