“Il n’y a pas de guerre de religion mais des Français qui ont attaqué d’autres Français” Haïm Korsia, grand rabbin de France

Aumônier général du culte israélite des armées et nouveau grand rabbin de France, Haïm Korsia est connu pour son attachement au dialogue interreligieux et aux valeurs républicaines. Élu le 22 juin dernier, il est confronté aujourd’hui à une série d’attaques commises contre la communauté juive, en marge de manifestations pro-palestiniennes. Lundi, il participait aux côtés de l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi à une cérémonie multiconfessionnelle à la synagogue de Sarcelles. Il revient sur les événements des dernières semaines et sur les réponses à y apporter.

 Comment avez-vous reçu les discours tenus lundià l’Élysée et à Sarcelles ?

Haïm Korsia : C’était un moment nécessaire pour la communauté nationale, qui avait besoin de manifester l’idée d’une solidarité entre toutes ses composantes, de dire qu’il y a des choses inacceptables. On peut défiler pour défendre telle ou telle cause, mais il est intolérable de le faire dans la violence et dans la haine. La communauté de Sarcelles, la tradition de “vivre ensemble” de cette ville, a été bousculée, fracassée dimanche.

Les représentants du culte musulman ont-ils, à vos yeux, été suffisamment clairs ?

Ce n’est pas à eux seuls de s’exprimer, c’est bien là l’enjeu aujourd’hui. Ceux que l’on a vus dans les rues brûler et piller des commerces sont agités par des groupuscules qui n’ont rien à voir avec un islam revendiqué. L’imam Chalghoumi l’a d’ailleurs très bien dit : ils ne sont pas dans le soutien réel à telle ou telle cause, ils ne sont pas musulmans, ils manifestent uniquement un rejet du système et une haine des juifs. Il faut oser le dire pour le combattre : il ne s’agit pas d’être alarmiste, mais de faire un constat juste pour poser ensuite des méthodes de travail, d’éducation, de fermeté afin qu’il existe un “vivre ensemble” serein, ce qui est la vocation profonde de la France. Je l’ai dit, peut-être un peu brutalement : il n’y a pas là de guerre de religions, mais des Français qui ont attaqué d’autres Français. Le projet de la République, c’est de montrer que les différences religieuses ne sont pas des différences telles qu’elles nous empêchent de vivre ensemble. Je l’ai parfaitement vécu tout au long de ma vie, dans les communautés où j’ai servi comme dans les armées. Il serait inadmissible que ça ne se fasse plus ici ou là parce que 100 ou 200 casseurs se rassemblent dans la haine d’une des composantes de la société.

Redoutez-vous les manifestations à venir ? 

Non. Je fais confiance aux préfets et au ministre, il y a manifestement des différences entre les parcours et les niveaux d’encadrement. Je suis surpris en revanche que des élus aient pu défiler avec leur écharpe dans des manifestations interdites. Il est incompréhensible que certains narguent ainsi la République qu’ils sont censés incarner.

Il a beaucoup été question après les événements du dialogue interreligieux, auquel vous êtes attaché. Comment prévoyez-vous de le faire vivre ?

Je pense qu’il faut impérativement que, dans les écoles, les jeunes puissent rencontrer des membres d’un autre culte, échanger avec eux, découvrir leur façon de vivre les moments de la vie, de l’année. La religion de l’autre ne doit pas être un mystère, une altérité radicale, mais une autre forme d’humanité aussi respectable. J’ai commencé à mener ce projet pour les écoles juives et nous allons le poursuivre. Mais je crois que dans les écoles publiques aussi ce type de rencontres doit pouvoir être organisé. Cela, dans la même logique qui conduirait à faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une grande cause nationale, avec un délégué interministériel qui coordonnerait les différents programmes. Il faut en revenir à l’essentiel, au coeur de ce qu’est le projet républicain : nous sommes tous des citoyens, et il y a une seule communauté qui vaille : la communauté nationale. Le prophète Isaïe disait “ma maison sera une maison de prière pour tous les peuples”. Il y a là une espérance commune, que la République nous donne à vivre. Nous avons, tous, à la protéger contre ceux qui veulent sa fin.

La “grande cause nationale” évoquée doit donc, pour vous, porter sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et non spécifiquement l’antisémitisme ?

Il y a une spécificité de l’antisémitisme. Mais il faut voir les choses telles qu’elles sont : lorsqu’on engage des moyens pour lutter contre l’antisémitisme, on donne l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. Ce qui est faux : il suffit de comparer le nombre de juifs en France et le nombre d’actes commis contre eux pour constater que la disproportion est terrifiante. En réalité, il faut lutter contre tout rejet de tel ou tel. C’est bien la lutte contre le racisme globalement, mais avec la spécificité de l’antisémitisme, qui doit devenir une grande cause nationale. Le président Chirac a réussi par ce biais à diviser par trois le nombre de morts sur les routes ; la lutte contre le cancer a abouti à de grands résultats. Il faut oser dire aujourd’hui qu’il y a là un enjeu majeur de société. La volonté politique est là, en témoignent les mots extraordinaires du président, du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur. Il faut maintenant du concret.

Le nombre de candidats à l’aliyah, le départ pour Israël, a augmenté très fortement ces derniers temps après plusieurs années de baisse.

Il n’y a pas eu de baisse. Nous sommes toujours à peu près dans le même étiage, les chiffres fluctuent légèrement. Ils sont aussi le résultat d’une situation économique, des désirs des uns et des autres : ils ne sont pas nécessairement liés à une situation locale. Mais cela doit constituer un axe de réflexion : est-ce que les gens partent parce qu’ils en font tout simplement le choix, ce qui est légitime, ou est-ce qu’ils envisagent le départ pour retrouver une sérénité qu’ils auraient perdue en France ? Ceci dit, rassurez-vous, depuis 3 500 ans le judaïsme est en butte à des volontés d’annihilation et n’a jamais cédé, parce qu’il a la capacité de rester lui-même tout en apportant la part de ce qu’il est. Nous avons contribué, depuis un peu avant Clovis, à construire la France, à penser avec d’autres ce que serait une société française sereine, heureuse, plurielle, ouverte, intelligente, et nous continuerons.

Selon l’agence juive, pourtant, 5 000 juifs français s’installeraient en Israël cette année, contre 1 907 en 2012. Cela n’est-il pas lié aussi à une inquiétude de la communauté ?

Aussi à cela, mais pas qu’à cela. Nous vivons dans un monde bien plus mouvant qu’autrefois. Certains vont s’installer en Amérique du Nord, en Asie, en Espagne… L’aliyah n’est pas un indice de mal-être. Mais il faut entendre l’inquiétude. Elle est un appel à l’ensemble de la société à agir, à prendre en amont la mesure des problèmes qui se posent pour y apporter des réponses concrètes et réelles. Le maire de Sarcelles m’a raconté lundi que dimanche une dame, musulmane, s’était interposée entre une vitrine et des casseurs pour dire “non, vous ne pouvez pas faire ça”. Il y a aussi besoin d’une mobilisation citoyenne, qui dise que l’on n’accepte pas comme un tribut payé à la modernité ou la post modernité cette haine résiduelle en France.

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