La victoire de l’Algérie contre la Corée du Sud a été célébrée dans toute la France par les supporters algériens. Que traduit cet engouement pour l’équipe algérienne de la part de jeunes parfois nés en France et qui semblent plus indifférents aux performances des Bleus qu’à celles des Fennecs?
Tarik Yildiz: Il existe, comme il a existé par le passé, une sorte d’identification au pays d’origine des parents ou des grands parents chez certains français issus de l’immigration. Ce «réflexe identitaire» refait particulièrement surface lors des confrontations sportives dans lesquelles certains symboles sont mis à l’honneur (drapeau, hymne,…). Si cela n’est pas propre aux jeunes issus de l’immigration algérienne ou magrébine en général (rappelons-nous des enfants d’italiens ou d’espagnols manifestant leur joie), l’intensité de l’engouement semble effectivement particulière chez ces populations, démontrant une recherche d’identification forte à un groupe, une nation.
Soutenir le pays d’origine des parents n’est pas forcément contradictoire avec le soutien à l’équipe de France, mais l’identification se fait plus aisément dans le premier cas, la symbolique de l’appartenance à la nation française s’étant effritée au fil des années. La relative carence symbolique française est comblée par d’autres symboles, renvoyant à des pays «d’origine» fantasmés. Que ce soit pour la victoire de l’Algérie ou du Paris Saint-Germain, des violences ne relevant pas de simples «débordements» surviennent.
Le caractère ostentatoire de certaines manifestations de joie et les violences qu’elles entraînent parfois ont pu choquer certains Français. Doit-on y voir de simples débordements, phénomène classique après un match, ou cela révèle-t-il plus largement un problème d’intégration, voire de défiance à l’égard de la France?
Au-delà des manifestations de joie, les violences qui ont pu être constatées par le passé sont plus préoccupantes: une partie des jeunes, généralement originaire des banlieues dîtes «défavorisées», profite de certains évènements pour en découdre. Ces jeunes peuvent parfois considérer cela comme un jeu et démontrent une véritable volonté de nuire (dégradation de biens, parfois agressions,…) et de chercher le rapport de force avec les forces de l’ordre. Cette composante de certains quartiers des banlieues est minoritaire mais elle reflète les problèmes profonds de la société française qui ne parvient pas à répondre aux difficultés persistantes.
Au-delà des matchs de foot, les drapeaux étrangers et en particulier algériens fleurissent désormais durant chaque manifestation populaire comme ce fut le cas le soir de la victoire de François Hollande place de la Bastille. Comment l’expliquez-vous?
La France et ses symboles ne sont aujourd’hui plus autant mis en avant que par le passé, le sentiment d’appartenance à une nation commune, autrefois véhiculé par l’école et l’institution militaire, est bien moins présent dans certaines parties de la société française. Dès lors, d’autres symboliques s’imposent. Dans certaines écoles, il est par exemple bien plus valorisant d’avoir des origines autres que françaises. Traduisant une quête d’identité non assouvie, l’attachement aux drapeaux étrangers relève de la symbolique et permet de mesurer la perception de la France, considérée comme moins forte donc moins attrayante.