Un monument : le mot n’est pas trop fort. Ancien pensionnaire de la Comédie Française, Jacques Lorcey publie Le Mystère Molière en deux tomes (tome I : 1662-1665 ; tome II : 1665-1673) : soit quelque 1 300 pages et tout sur Molière, sa vie, ses secrets, ses personnages, ses pièces. Du nouveau, du neuf, du jamais dit ? Oui. Quand on demandait à Sacha Guitry (dont Lorcey est, par ailleurs, le grand spécialiste français) : « Quid novi ? » (« Quoi de neuf ? »), il répondait invariablement : « Molière ! »
Mais comme si ces deux colonnes du temple, fruits de dizaines d’années de recherches et d’écriture, ne suffisaient pas à une vie d’homme, Lorcey publie en même temps un Molière sans masque ou la critique des critiques (près de 600 pages !).
En réalité, il n’y a pas un mystère Molière, mais des dizaines qui ont jalonné sa carrière. Comment, après des débuts difficiles à Paris, a-t-il pu – et avec quelles protections – revenir en force et triompher dans la capitale ? A-t-il épousé sa propre fille ? Certaines de ses pièces ont-elles été écrites par Corneille ? Est-il mort empoisonné (1) ? Où se trouvait vraiment sa tombe ? Pourquoi aucun de ses manuscrits ne nous est-il jamais parvenu ? Etc.
C’est à toutes ces questions et à de nombreuses autres que Lorcey (qui fut naguère un remarquable Harpagon) répond. Sans jamais se départir d’une connaissance parfaite de l’époque en général et du monde des « saltimbanques » en particulier. Il nous dit : “Que notre aimable lecteur accepte donc de se pénétrer de l’évidence qu’il ne s’agit pas ici d’un Récit des temps mérovingiens, car peu de choses ont réellement changé en trois siècles et les hommes ne sont que des hommes, toujours âpres au gain et méchants les uns envers les autres. Qu’il nous pardonne aussi lorsque l’intuition de l’auteur a pris le pas sur les certitudes et s’il n’a pas toujours réussi à disparaître derrière son héros.”
C’est une farandole de personnages extravagants qui sont convoqués-là : la tribu des Béjart, Saint-Aignan, Tristan Lhermite, La Mothe Le Vayer, les libertins, le roi, sa cour. Jacques Lorcey se livre de surcroît à une lecture savante et exhaustive de l’œuvre de Molière, ramenant au jour des textes oubliés, voire cachés. Préfacier de l’ouvrage, Jean Piat, qui fut notamment un Cléonte d’anthologie dans Le Bourgeois gentilhomme en 1958, écrit : « Rien n’a échappé à Jacques Lorcey des faits, des attitudes, d’un monde qui entourait Jean-Baptiste Poquelin devenu Molière, des questions multiples que posent la vie et l’œuvre de celui que Sacha Guitry, parlant aux acteurs, appelle : Notre dieu à tous. »
Dans Molière sans masque, Lorcey ouvre 231 portes de textes et de critiques sur Molière, répertoriés depuis 1705 (à cette date parut La Vie de M. de Molière de Jean-Léonor Le Gallois, sieur de Grimarest). On est là en bonne compagnie : Voltaire, Nisard, Sainte-Beuve, Louis Veuillot, Arsène Houssaye, Maurice Donnay, Emile Faguet, René Doumic, René Benjamin, Jacques Audiberti, Paul Morand, Pierre Gaxotte et combien d’autres qui, tous, ont apporté leur pierre à ce tombeau de Molière dont Lorcey parachève – car après lui, il sera difficile de faire plus – l’édifice.
Préfacier de Molière sans masque, Jacques Hiver écrit : « Somme toute, Molière demeure, et demeurera, le mystère français. Tout comme Shakespeare, le mystère anglais. » A cette nuance près que Lorcey est allé voir – dans les coulisses – les choses derrière les choses. Et qu’il lève bien des pans du mystère.
(1) Lully a été soupçonné d’un éventuel empoisonnement avec la complicité d’Armande Béjart. L’année 1672 est celle de l’Affaire des poisons.
Commandes : Jacques Lorcey, 11 rue des Vieilles-Vignes, 92 400 Courbevoie. Les deux tomes : 39 euros (plus frais de port).
Lu dans Présent