Par Adélaïde Pouchol
En France, nous apprenons régulièrement les exploits de telle ou telle personne handicapée qui a réussi à traverser la Manche à la nage ou à escalader un sommet.
En France, l’on se réjouit aussi, avec force publicité, du succès des Jeux paralympiques et de l’incroyable témoignage vivant que sont ces personnes qui ont réussi à surmonter leur handicap. « Le handicap, tous concernés », « ensemble avec nos différences »… Entre les publicités pour le site de rencontres extraconjugales Gleeden ou une réclame de compagnie aérienne s’affichent parfois sur les panneaux publicitaires de nos villes des campagnes en faveur de l’accueil et l’insertion des personnes handicapées.
En France également, le 21 mars dernier, le président du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) Jean-Paul Delevoye intervenait à l’occasion de la Journée mondiale de la Trisomie 21 pour dire, avec des trémolos dans la voix, l’immense richesse que représentent pour la société les porteurs du fameux chromosome surnuméraire…
Il n’aurait pas dû naître
En France, pourtant, il peut être illégal d’avoir laissé naître un enfant handicapé. Pire encore, le handicap n’est pas tant considéré comme un préjudice pour la personne concernée que pour ses parents… Le Conseil d’État a en effet condamné par un arrêt daté du 31 mars dernier le Centre hospitalier de Senlis à verser 40 000 € d’indemnités à chacun des parents d’un garçon âgé aujourd’hui de 13 ans, atteint d’un handicap. Atteint du « syndrome de Vaterl », l’enfant est né le 30 décembre 2001 avec notamment une malformation à l’avant-bras droit qui n’avait pas été diagnostiquée pendant la grossesse. En janvier 2002, les parents ont entamé une procédure judiciaire contre l’hôpital de Senlis, dénonçant une faute professionnelle qui aurait porté préjudice à l’enfant comme aux parents.
Étonnamment, si l’enfant demeure le premier concerné par l’affaire, ce sont les parents qui recevront chacun la somme rondelette de 40 000 €. Car, selon les termes mêmes de la décision de justice, le fait que le handicap de l’enfant n’ait pas été décelé lors de la grossesse « les a privés de la possibilité de recourir (…) à une interruption volontaire de grossesse justifiée par une affection de l’enfant à naître d’une particulière gravité et reconnue comme incurable ». L’enfant sait-il que ses parents viennent de gagner de l’argent pour le fait de n’avoir pas pu l’avorter ?
Un choix difficile
Tout porte à penser qu’aujourd’hui, un handicap est presque plus difficile à porter pour l’entourage que pour la personne concernée. Preuve en est que, dans l’affaire de Senlis en tout cas, ce n’est pas l’enfant qui s’offusque d’être en vie, mais ses parents qui s’offusquent pour lui. « On ne peut imposer à quelqu’un une pareille vie », « il ne pourra jamais être heureux »… Ces déclarations entendues souvent lorsqu’une femme apprend qu’elle attend un enfant porteur de handicap ne seraient-elles pas que le cache-misère de bien-portants effrayés par la faiblesse et la vulnérabilité… que la culture ambiante et la politique n’aident pas vraiment à accepter. Nul ne niera la souffrance des parents qui donnent naissance à un enfant malade. Nul ne niera les difficultés d’une vie chamboulée par le handicap d’un enfant qui ne grandira pas comme les autres et demandera une attention décuplée. Et pourtant, que des parents puissent demander réparation (financière !) d’un handicap qu’ils ne portent pas est profondément cynique. Leur geste est une manière de dire à leur enfant qu’ils l’auraient préféré mort. Tout simplement. Il aurait suffi de peu, d’un gynécologue peut-être un tout petit peu plus attentif, pour que, jusqu’à la veille même de l’accouchement, les parents puissent recourir à une Interruption Médicale de Grossesse (IMG).
Mais l’enfant est né, bon gré mal gré, avec son avant-droit malade et il vit aujourd’hui parce que l’Interruption Médicale de la Vie Post-Natale n’est pas (encore ?) légale.