La face cachée de l’Arabie saoudite (Documentaire)

https://www.youtube.com/watch?v=NLtLeK7YLGY

C’est un documentaire à charge, et il ne s’en cache pas. Saudi Arabia Uncovered (l’Arabie Saoudite dévoilée) a été produit par l’organisation de défense des droits de l’homme Front Line. Mais il s’agit avant tout d’un film qui permet de voir la réalité d’un pays comme il n’a jamais encore été possible de la voir.

Il a en effet été essentiellement tourné en caméra cachée. “Trouver des gens à l’intérieur d’un pays étroitement contrôlé, volontaires pour produire des vidéos qui ne soient pas approuvées par l’Etat, afin de montrer au reste du monde ce qui se passe” dans leur pays, tel a été le pari du réalisateur James Jones. Les images proviennent donc d’un certain Yasser, un Saoudien anonyme qui était prêt à prendre ce risque. A cela s’ajoutent d’impressionnantes scènes – elles aussi tournées en caméra cachée – dues à certains membres de l’équipe de tournage qui se sont rendus en Arabie en se faisant passer pour des hommes d’affaires.

Le film compile également une série de vidéos filmées clandestinement par des anonymes avec leur téléphone portable et qui circulaient déjà sur les réseaux sociaux. Mais on ne les avait jamais vues ainsi mises en perspective. Dont la flagellation du blogueur Raif Badawi et une décapitation sur la place publique, ou encore des interventions de la police religieuse contre des femmes jugées insuffisamment voilées.

Pas étonnant que le film passe mal en Arabie Saoudite. “C’est du racolage de bas étage”, écrit l’éditorialiste saoudienne Eman Al-Qoweifli sur le site Al-Araby Al-Jadid. Selon elle, il s’adresse au “téléspectateur européen qui aime à se faire peur face à cette société [saoudienne], forcément barbare” et qui cherche à “conforter son sentiment de supériorité” morale par rapport au reste du monde. Bref, selon l’éditorialiste, ce film relève de “l’orientalisme droit-de-l’hommiste”.

“Il montre des incidents extrêmes comme si ceux-ci faisaient partie de la vie de tous les jours”, écrit pour sa part sur son blog la Saoudienne Loujain Al-Hathloul, qui dénonce un “film sensationnaliste et partial”.

Elle est connue en tant que militante féministe. Fin 2014, elle s’était fait arrêter par la police parce qu’elle se filmait au volant de sa voiture, bravant l’interdit fait aux femmes de conduire. C’est à ce titre de militante engagée qu’elle apparaît dans le film, avec la particularité de parler à visage découvert alors qu’elle vit en Arabie Saoudite. Mais elle ignorait ce qu’allait être le film lorsque ses propos ont été recueillis.

Sa présence dans le film lui vaut aujourd’hui des “critiques violentes et injustes, au point de mettre en question [sa] loyauté envers [son] pays”, écrit-elle dans une longue tribune d’autojustification. “Nous devons apprendre que le fait de critiquer un certain nombre de phénomènes dans notre pays ne fait pas de nous des ennemis de la patrie.”

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Des femmes décapitées au sabre. Battues en pleine rue ou encore harcelées par la police religieuse. Un jeune blogueur puni de mille coups de fouet en public. Des prédicateurs appelant à tuer juifs, chrétiens et musulmans chiites. Et la misère cachée, dans des ruelles qu’aucun étranger ne visite jamais… Le documentaire «Saudi Arabia Uncovered» (ci-dessous) fait l’effet d’un coup-de-poing dans le ventre. Normal: cette «Arabie saoudite dévoilée» depuis mars 2016 par le Britannique James Jones a été filmée en caméra cachée, en grande partie par un jeune activiste saoudien surnommé Yasser. Il montre ce que la monarchie wahhabite voudrait faire oublier. Rencontre à Genève avec le cinéaste, en marge du Sommet pour les droits humains et la démocratie organisé par Human Rights Watch et d’autres ONG. Une jeune Saoudienne sans voile était également présente à cet entretien. Nous l’appellerons Sara.

L’Arabie saoudite est un Etat répressif, on le sait. Qu’est-ce qui a rendu ce documentaire choc soudain nécessaire?

James Jones: En janvier 2015, le jeune blogueur Raif Badawi recevait cinquante premiers coups de fouet sur la place publique. Il avait été condamné à mille coups et dix ans de prison. Puis le même mois, le roi Abdallah est mort et l’on a vu les leaders occidentaux se précipiter à Riyad pour ses funérailles. L’hypocrisie était soudain flagrante. D’un côté ils combattaient Daech (ndlr: le groupe Etat islamique) et les atrocités commises par les djihadistes dans les territoires conquis, de l’autre côté ils ont pour allié une monarchie pétrolière prônant un islam liberticide, lui livrant des armes et formant ses policiers…

Lujain Al-Hathlool est la seule activiste qui apparaît à visage découvert. Depuis, elle a dit que ses propos avaient été sortis de leur contexte…

James Jones: Lujain a en effet été très courageuse. Je comprends pourquoi elle a dû faire cette déclaration. Je n’en dirai pas plus.

Vous décrivez un régime obscurantiste. Mais le peuple n’est-il pas lui-même très conservateur?

Sara: Les gens sont mécontents de la famille royale, mais pas tous pour les mêmes raisons. Une minorité veut plus de libertés, tandis qu’une majorité veut effectivement une société encore plus conservatrice. Or, la colère monte à chaque fois que les cours du brut s’effondrent, car les subsides de l’Etat diminuent. La légitimité de cette dynastie, qui s’autoproclame gardienne des lieux saints de l’islam, repose sur deux piliers: la rente pétrolière et le pacte passé jadis avec les religieux wahhabites. A chaque fois que l’un est affaibli, l’autre se renforce…

Le documentaire montre comment la famille royale a soutenu des organisations caritatives islamiques qui finançaient le terrorisme. Etait-ce volontaire?

James Jones: Ce qui est sûr, c’est que la diffusion mondiale de l’islam saoudien fait partie du deal avec les religieux wahhabites. La dynastie s’y astreint pour ne pas qu’ils défient son pouvoir. Avant le 11 septembre 2001, il y avait ainsi des radicaux dans toutes les ambassades. Quant au soutien aux œuvres caritatives, il permettait de contrecarrer l’influence de l’Iran chiite. Mais Ryad n’avait pas envisagé toutes les conséquences. Les Saoudiens ont fait la même erreur en finançant des groupes rebelles islamistes en Syrie…

Le roi a introduit le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes. Deux Saoudiennes ont été nommées à la tête d’institutions financières. Comment l’expliquer?

James Jones: Ryad veut améliorer son image dans le monde. Ainsi, le royaume s’est aussi joint à la coalition contre Daech en Syrie. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de progrès, mais il ne faut pas oublier la réalité derrière cette vitrine. Un quart de la population connaît la pauvreté.

Sara: La société saoudienne n’évolue que sous la contrainte économique. Le roi ne peut plus financer les subsides aux familles, alors il demande aux femmes d’aller travailler. Il veut rendre l’économie du royaume moins dépendante de l’or noir, donc il lui faut davantage de main-d’œuvre.

Yasser, le Saoudien qui filmait en caméra cachée, a pris peur et mis fin à la transmission de vidéos. Qu’est-il devenu?

James Jones: On ne me pose jamais cette question. Pourtant, c’est lui la vraie star du documentaire, c’est lui qui a pris la plupart des risques. Yasser va bien, il se dit heureux que des centaines de milliers de personnes aient pu voir le film. Quand il a été mis en ligne sur Internet, tous les étudiants de sa classe ne parlaient que de ça, se demandant qui avait bien pu avoir le courage de tourner ces vidéos. Lui n’en a même pas parlé à ses parents. La peur ne l’a pas quitté.

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