« Parmi les écrivains de ce temps, j’en vois peu qui possèdent autant que M. Louis Bertrand le sens de la grandeur. Peu qui aient su trouver pour exalter la grandeur un langage aussi heureusement adéquat que le sien. » (Louis Chaigne.)
Né en Lorraine quatre ans après Barrès, Louis Bertrand (1866-1941) vivra toute sa vie dans l’ombre du « prince de la jeunesse », à qui il succédera à l’Académie française en 1925. Marqué lui aussi par la guerre de 1870 et l’annexion de son « Haut-Pays » à l’Allemagne, il admire vivement Flaubert, qui l’initie à l’Afrique, l’Anthinéa de Maurras (bien que dreyfusard) et les Nouvelles orientales de Gobineau.
Parcourant l’espace méditerranéen, de la Mauritanie à la Terre sainte, il rapporte de ces différents voyages, effectués pour la Revue des Deux Mondes, la matière d’une quarantaine de romans et essais consacrés à l’Algérie, mais aussi à la Méditerranée et à l’Orient. Il consacre néanmoins toute une œuvre « à son pays, une œuvre lorraine, rien que lorraine », Mademoiselle de Jessincourt, parue en 1911. Réponse à Colette Baudoche du natif de Charmes, le roman décrit l’histoire, de 1859 à 1875, d’une « hobereau » de l’ancienne noblesse lorraine, mademoiselle de Jessincourt, dont le personnage est inspiré par sa tante, et qui meurt après la plus triste et la plus navrante agonie, qui n’est pas sans rappeler celle du père Goriot dans le roman éponyme de Balzac.
Sur fond de fête impériale puis de désastre de la guerre de 1870, l’action se situe dans le petit monde d’une sous-préfecture nommée Amermont (lire Briey) à l’ombre de la « grande cité », Metz, qui brille des ors du Second Empire et du prestige de son Ecole d’application du Génie et de l’Artillerie, respirant une insouciante quiétude d’avant-guerre. Dédié à l’écrivain Paul Bourget, qu’il considérera comme « [s]on maître » dans son hagiographie de Louis XIV (1923), Mademoiselle de Jessincourt est un roman à clef dont les principaux personnages sont inspirés des gens croisés durant son séjour à Briey de 1875 à 1878.
Bien que Mademoiselle de Jessincourt rappelle un peu Un cœur simple de Flaubert, il convient d’y noter un profond sentiment de l’amour et de la souffrance. « Mademoiselle de Jessincourt m’avait mis sur la voie de la psychologie et de la spiritualité. » Par l’étude très poussée du caractère principal, le réalisme sombre et douloureux, l’intérêt du récit, la vérité des descriptions comme par le mérite du style, Mademoiselle de Jessincourt se classe parmi les plus remarquables romans consacrés à la Lorraine. Louis Bertrand, en maître de la description, se ressent des longues journées de son enfance où, derrière le poêle, comme mademoiselle de Jessincourt, il attendait le pâle soleil lorrain, où il rêvait de lumière, de chaleur et où, de toute son âme, il appelait l’Orient.
Pierre Yunk – Présent
Louis Bertrand, Mademoiselle de Jessincourt, roman, présentation de Sébastien Wagner, Metz, éditions des Paraiges, 2015, 300 p., 20 euros.
–