Mémoire de la Plus Grande France / Il y a cent ans, Albert Camus, fils du peuple

Par Alain Sanders

Né le 7 novembre 1913 à Mondovi (près de Constantine), Algérie française, Albert Camus « l’intello » est néanmoins très représentatif du petit peuple pied-noir. Son père, modeste ouvrier-artisan, descend d’une famille alsacienne arrivée en 1871. Un père que Camus ne connaîtra pas : mobilisé le 2 août 1914, il est grièvement blessé et meurt de ses blessures un mois plus tard.

Sa mère, née Sintès (1), est d’origine espagnole (majorquine). Après la mort de son mari, cette jeune veuve doit quitter Mondovi et s’installer à Alger avec sa smalah : ses deux fils (Lucien et Albert), sa mère (très autoritaire), un oncle infirme. Ils vivent à Belcourt. Pour nourrir tout ce petit monde, Mme Camus se place comme femme de ménage.

Sa fierté ? Son fils Albert. Parce que c’est un bon élève. Au point qu’un de ses instituteurs, Louis Germain, le présente à un concours qui permet à Albert d’obtenir une bourse d’études secondaires. Il entre au lycée d’Alger. Il a deux passions : la lecture et, comme beaucoup de gamins de là-bas (Derrida, par exemple), le football.

En 1930, l’année où il passe le bac, ces deux passions sont menacées : la tuberculose qui le frappe le contraint à abandonner un temps ses études et, bien évidemment, la fréquentation des terrains de foot. Mais il s’accroche. Et il a raison.

En 1932, la revue Sud lui prend quelques articles. Ayant obtenu des prêts, il peut s’inscrire à la fac où il prépare une licence ès lettres philosophie. Pour vivre (et soulager sa mère), il fait des petits jobs : vendeur d’accessoires pour automobiles, agent technique à l’Institut météorologique de l’université, employé chez un courtier maritime, employé à la préfecture, etc.

En 1934, il se marie. Un an plus tard, il divorce. Mauvaise pioche, mauvais choix. La même année, il s’inscrit au Parti communiste. Un an plus tard, il prend ses distances (il sera exclu du PC en 1937). Il obtient sa licence et un DES sur un sujet qui n’est pas anodin : « Les rapports de l’hellénisme et du christianisme à travers les œuvres de Plotin et de saint Augustin ». Son état de santé s’aggravant, il doit abandonner ses études et son rêve, semble-t-il, de devenir prof de philo.

Cela ne l’empêche pas de vivre : voyage en Europe centrale, fondation du Théâtre du Travail, petits rôles de comédien au sein d’une troupe, rédacteur (puis directeur) deAlger-Républicain. Il s’épuise. En 1937, les médecins lui conseillent d’aller se reposer en métropole. Il accepte, mais il en profite pour aller visiter l’Italie. En octobre 1937, il rentre à Alger et s’occupe – il y fait quasiment tout – du Théâtre de l’Equipe. Et il se remarie. Avec une Oranaise, Francine Faure. Bonne pioche, bon choix. Le couple aura deux enfants.

Début 1940, il est à Paris. Il a dégotté un emploi de secrétaire à la rédaction de Paris-Soir. En juin, il se replie d’abord à Clermont (il y met la première main au Mythe de Sisyphe), puis à Lyon. Il tourne en rond. L’Algérie lui manque. Il y revient en décembre et, en janvier 1941, il s’installe en famille à Oran. Il y entame (inspiré par la lecture de Moby Dick, ce qu’on sait peu) La Peste.

La philosophie, c’est bien. La littérature aussi. Mais il y a l’action. Et l’action, c’est en métropole que ça se passe pour l’heure. Le voilà donc à Lyon où il intègre le mouvement de résistance « Combat ». Au printemps 1942, les effets de la tuberculose l’obligent à se mettre au vert à Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire). Reposé, il reprend son poste. A Lyon, puis à Paris où il occupe un emploi de lecteur chez Gallimard, l’éditeur de L’Etranger (1942) et du Mythe de Sisyphe (1943).

Après la Libération, il dirige (1944-1947) le journal Combat. Suivront sa collaboration – hélas ! – à L’Express (1955-1956) et son opposition – heureusement – à l’écrasement de la Hongrie par les chars soviétiques. Et il continue de bâtir son œuvre : La Chute (1956), L’Exil et le Royaume (1957), la série des Actuelles (I, II et III), les rééditions de L’Envers et l’Endroit et de Noces, etc. Et un bâton de maréchal : le Nobel de littérature en 1957 (2).

Le 4 janvier 1960, son destin s’achève dans un accident de voiture alors qu’il remontait de Lourmarin vers Paris (avec le fils de son éditeur, Michel Gallimard).

Il y eut un temps (et encore du temps où j’étais lycéen) où l’on nous vendait Sartre et Camus dans un même « sac » philosophique. On en est entièrement revenu. Car tout – je dis bien : tout – oppose Camus, fils du peuple, à Sartre bourgeois pourri intellectuellement, politiquement, dans ses mœurs, confit de haine(s), de ressentiments, monstrueux de laideur de corps, d’âme et d’esprit.

Dans son essai, Ecrivains français engagés (Nouvelles Editions Debresse, 1978), Pierre Astier écrit fort justement : « En fait, d’après Camus, si la pauvreté n’a pas été pour lui un véritable malheur, c’est parce que la lumière y répandait ses richesses. » Camus dira encore qu’il n’a pas appris la liberté chez Marx, lui – suivez son regard – mais dans la lumière.

Il fut fidèle aux humiliés. Avec ce programme simple – et tellement compliqué : « Essayer simplement d’être un homme. » Un « petit Blanc » d’Algérie, Camus ? Oui. Aux antipodes de l’intelligentsia marxiste de Saint-Germain-des-Prés. Un redneck en quelque sorte. Et ce n’est sans doute pas un hasard si, en 1956, il adapta et créa, à Paris, le Requiem pour une nonne du grand écrivain sudiste William Faulkner.

(1) Un nom que Camus donnera à un ami de Meursault dans L’Etranger. Et un nom que l’on retrouve dans la pièce de théâtre La Famille Hernandez.

(2) Ce qui lui permettra d’acheter sa maison de Lourmarin.

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