La vie pure est le tout premier film de Jérémy Banster en tant que réalisateur. Il raconte ici l’histoire vraie de l’explorateur Raymond Maufrais, parti en expédition solitaire dans la forêt amazonienne et porté disparu depuis 1950. Un fil nous raccroche encore à lui : son carnet de voyages récupéré par son père. L’homme a financé pas moins de 18 expéditions en douze ans pour tenter de retrouver son fils, en vain. Aurélien Recoing joue ce rôle de père meurtri avec une sobriété bienvenue. C’est d’ailleurs le ton général du film. Il fait l’économie des grands sentiments. De l’enfance de Raymond, nous n’avons que les brides qui feront de lui un explorateur épris d’une quête, celle d‘une chaîne de montagnes inexplorée en pleine forêt amazonienne, d’un peuple insoumis aussi, jamais approché, mystérieux. Toute la première partie du film est consacrée à ce départ, teinté d’un halo dramatique tant les parents ont du mal à se séparer de leur garçon, mais aussi parce qu’il y a des quêtes qui ne se font pas sans un minimum de préparation. Si cette partie là est parfois un peu longue à faire entrer le film « dans le vif du sujet », elle a le mérite de mettre en lumière le rêve de gamin qui se heurte à la réalité.
Rendez-vous en terre inconnue
ePour découvrir ce voyage en terrain inconnu, solitaire, mais non dénué de rencontres, le récit de voyage de Raymond Maufrais nous est lu en voix off. Cette très belle écriture, faite de doutes et de certitudes, adressée à ses parents et publiée par son père (et que vous pouvez lire !) est livrée par brides, un peu à la manière d’Into the wild. Pourtant, le mystère distingue directement La vie pure de son pendant américain. Dans Into the wild, le jeune homme se rebellait contre sa société et fuyait sa vie comme la peste, avant de découvrir l’intérêt du partage. Raymond Maufrais, de son côté, voulait rentrer, revenir, mais pas sans avoir au préalable découvert sa terre. Il a payé son espace de liberté au prix de son corps. C’est là tout l’art du film : montrer ce corps qui flanche, qui se détruit, qui doute trop tard pour revenir en arrière. Quand Raymond Maufrais part, il est assez mal préparé, mais c’est pourtant un homme joyeux, chantant volontiers que l’on croise d’abord. La nature aura raison de ce sourire si fier sur son visage. L’explorateur ne cessera pourtant pas d’écrire, jusqu’au bout. L’ambiance se délite peu à peu. Le réalisateur étudie l’aspect physique et psychologique de cette quête perdue. Au fur et à mesure que l’échéance de l’eldorado s’éloigne, que Raymond décompte les jours et maigrit à vue d’œil, les conséquences de la disparition nous sont révélées. Ce voyage en terre inconnue est filmé, un peu tard peut-être, très frontalement par Jérémy Banster. Le spectateur ressent alors avec Raymond, la douleur physique et la solitude qui transpercent presque l’écran. La caméra est mouvante, comme si des esprits tournaient autour de lui. Le vertige s’empare de lui, le détruisant peu à peu.
Ceux qui restent
Une disparition est une perte quasi insurmontable, tant l’incertitude pèse sur le deuil impossible à faire. Le film rend la présence de Raymond si forte que son absence est presque inconcevable. Lorsqu’il disparaît à l’image des paysages que nous avons explorés avec lui, son aura persiste longtemps. Par un montage subtil, un jeu sur la temporalité, la présence du père et de Raymond dans les mêmes lieux semble se superposer. Déroutant. Stanny Coppet est excellent tant il passe de la certitude à la détresse (la faim, la douleur, la peur, la solitude) sans qu’on s’en rende compte (donc sans surjouer). A l’écran sa déchéance, dans la solitude, paraît tout à coup d’une violence inouïe. Tout se passe finalement très vite, en 1h 30. Le rythme accélère quand le voyage commence et l’homme vigoureux n’est bientôt plus qu’halètements. La vie pure est le récit d’une vie toute simple d’explorateur qui se voulait grande, trop grande. Mais elle marque surtout pour ce vide qu’elle laisse chez des parents aimants et déboussolés.
On retrouve Aurélien Recoing dans Les Revenants, série qui étudie la perte à l’aune des sentiments, de ce qu’elle détruit chez « ceux qui restent », avec ce sens particulier de l’image, commun aux deux œuvres. Raymond Maufrais n’est pas un revenant, mais sous les traits de Stany Coppet et la caméra de Jérémy Banster, il imprime sa marque indélébile dans la tête du spectateur. Le jeune homme que l’on voit à l’écran aurait aujourd’hui 89 ans et plus aucun parent pour l’accueillir s’il revenait parmi nous.