Et voilà, Justin Trudeau a remporté la victoire électorale ; il continuera de sévir comme Premier ministre du Canada. Mais sa victoire a des airs de défaite : sa députation a fondu. Il n’obtiendra qu’un mandat minoritaire. S’il avait 177 sièges à la dissolution du Parlement, qui en compte 338, il en conservait 158 à l’heure d’écrire ces lignes, contre près de 120 pour les conservateurs qui n’en avaient que 95. Pour ces derniers, trop peu pour renverser la vapeur. Andrew Scheer, malgré le bilan calamiteux de son opposant, ne parvint pas à s’imposer comme une véritable alternative, lui qui répétait vouloir perpétuer le nouveau statu quo mis en place par son adversaire. Le énième recentrage du Parti conservateur a aliéné une partie de la base militante, sans toutefois convaincre la majorité des électeurs.
Il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans les prochaines semaines. On imagine que Trudeau ira courtiser Elizabeth May du Parti vert, qui a réussi une percée avec quatre sièges, et Jagmeet Singh du très à gauche Nouveau Parti démocratique, mais celui-ci a également subi un revers, ne conservant de ses 39 sièges qu’une vingtaine, et seulement un au Québec où il en avait quatorze il y a deux mois. C’est que dans la Belle Province, le Bloc québécois a repris du poil de la bête, passant de dix à 34 députés.
Trudeau pourra donc s’appuyer sur les verts et les néo-démocrates pour gouverner, mais ce sera un équilibre précaire. Au Canada, où l’on ne connaît pas les coalitions, les gouvernements minoritaires ne durent habituellement pas très longtemps. Depuis l’an 2000, les trois gouvernements minoritaires que connut le pays n’atteignirent pas le cap des trois ans. Il est donc fort probable que les Canadiens retourneront aux urnes dans les prochaines années.
Avec des promesses électorales s’élevant à 55 milliards de dollars, malgré les déficits structurels, il sera difficile pour Trudeau de satisfaire May et Singh, qui promettaient respectivement des dépenses de 250 et 130 milliards, sans totalement perdre sa crédibilité en matière économique. Le seul terrain d’entente risque d’être au niveau sociétal, les trois chefs s’entendant comme larrons en foire au niveau des « valeurs ».
Les Québécois pourront s’attendre à une charge du fédéral contre la laïcité au Québec. Le trio Trudeau, May et Singh ayant promis de s’attaquer à la loi 21 devant la Cour pour cesser cette discrimination qui consiste à interdire le port de signes religieux lorsqu’on exerce un poste d’autorité. Cette question explique en partie la remontée du Bloc qui avait promis de défendre cette législation à Ottawa. Mais sur le reste, le Bloc québécois est un parti social-démocrate qui ne risque pas de s’opposer aux dérives trudeauistes.
Il faudra donc vivre encore un certain temps avec Trudeau qui risque en revanche d’être moins arrogant que par le passé, ne pouvant plus se permettre de mépriser ses opposants politiques. Puisse cette victoire à l’arraché le ramener les deux pieds sur terre. •
Remi Tremblay – Présent