Je préfèrerais évoquer, pour parler des églises de France, un texte plus récent, celui de la chanson popularisée par Édith Piaf et les Compagnons de la Chanson, intitulée «Les trois cloches». Écrite en 1939, elle a été reprise et traduite des dizaines de fois tant ses paroles renvoyaient à une expérience commune aux familles des terres que l’on appelait jadis de chrétienté. La première cloche y sonne pour «accueillir une âme», au baptême, la deuxième sonne à la volée, signifiant que d’un garçon et d’une fille, le sacrement du mariage a fait «un seul coeur, une seule âme».
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La dernière, sans surprise, «obsédante et monotone», accompagne le défunt en terre et dit aux vivants «ne tremblez pas, coeurs fidèles». «Les trois cloches» offre donc une méditation poétique, dans une langue très simple, autour des grands jalons de l’existence humaine, alors presque unanimement accompagnés par les rites de l’Église. Elle manifeste très concrètement comment l’église, sans majuscule, est devenue à travers les âges non seulement un sanctuaire où le culte est célébré mais aussi un lieu de mémoire familiale. C’est particulièrement vrai lorsque l’on est dans une civilisation rurale immuable, au sujet de laquelle Péguy écrivait, prêtant sa prose à un paysan lorrain du Moyen-âge, «Il faut que la paysannerie continue. Et la vigne et le blé et la moisson et la vendange. Et le labour de la terre. Et le pâtour des bêtes. (…) Il faut que la paroisse continue.»
Cette église paroissiale était un endroit où s’opérait la transformation du temps familial en temps commun, marqué et solennisé par la sonnerie tonitruante des cloches. Le baptême ou la mort d’un seul était gratifié de la même sonnerie que la messe du dimanche et les cortèges des grandes fêtes. Le temps vécu des plus modestes paysans comme des plus illustres princes a ainsi été, au long des siècles, mis en consonance avec l’histoire d’une communauté unifiée par la foi et, selon cette foi, avec un temps qui n’en est plus un, mais que les cloches signifient: l’éternité. Si les cloches se taisent, il est vain de pleurer l’église désertée. Libre à chacun de désirer ou non les faire sonner.