Corps en mouvement

« Je hais le mouvement qui déplace les lignes » – mais pas celui qui déplace les corps, à en juger par la qualité des sculptures (et quelques peintures) regroupées dans la Petite Galerie du Louvre.

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Edgar Degas, Danseuse, position de quatrième devant sur la jambe gauche, première étude. Paris, musée d’Orsay. © RMN Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Aux époques où un art hiératique répugne à animer la matière de façon réaliste, les conventions permettent à l’artiste de figurer un mouvement. Les Egyptiens connaissent la « marche apparente », les Grecs archaïques la « course agenouillée », l’Occident le « galop volant » pour les représentations de chevaux : c’est la convention utilisée par Géricault, par exemple, pour son Derby d’Epsom (1821). Aucun cheval n’a jamais galopé ainsi et il faudra attendre les photographies de Muybridge, à la fin des années 1880, pour qu’on visualise la position réelle des différentes jambes lors du galop. Cependant la toile de Géricault nous fait toucher du doigt que les conventions en art sont aussi efficaces que le réalisme, voire plus plastiques. Dans le même ordre d’idées, on peut se demander si la recherche du mouvement réaliste à tout prix ne mène pas la sculpture – art de la forme – vers la ligne, le vidant dangereusement de sa substance : le célèbre Mercure volant de Jean de Bologne (1574) le laisse penser.

Les Métamorphoses d’Ovide, grande source thématique de l’art profane occidental, sont en elles-mêmes toujours mouvementées. Ne nous étonnons pas de voir les artistes inspirés par les poursuites : très belle terre cuite de Godecharle, Pan poursuivant Syrinx (1787) ; tableaux de Tiepolo, de l’Albane, Apollon et Daphné. Le couple courant Hippomène et Atalante (ici élégamment modelé par un artiste anonyme vers 1715-1720) est un sujet courant aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les demeures aristocratiques. Un homme et une femme faisant la course à l’issue périlleuse pour chacun en cas de défaite (à lui la mort, à elle le mariage) inspirèrent diverses solutions complexes, d’autant que Hippomène lance des pommes d’or tout en courant pour ralentir Atalante.

Danseuses
Parmi tous ces corps qui marchent, sautent, s’envolent, courent ou se tordent, il en est d’autres qui relèvent de l’art : le corps des danseuses. Elles peuvent être seules ou s’assembler en farandole, relever du folklore religieux antique ou de la danse classique occidentale, le fait est là : elles tentent les artistes qui les peignent sur des vases à Athènes (-410), sur la robe d’une idole-cloche à Thèbes (-700). Un art en inspire un autre.

A la fin du XIXe siècle, à côté des groupes indigestes de Carpeaux, les études de Degas ou de Rodin paraissent modelées le temps d’un entrechat. Dans sa fièvre à suggérer un mouvement du corps qui exprime aussi un état d’âme, Rodin malmène l’anatomie comme avant lui les conventions : preuve s’il en est besoin de la profitable mise de côté du réalisme au profit de l’expression.

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Peintre de Ménélas (actif à Athènes vers 450-440 avant J.-C.), Cratère à figures rouges, retrouvailles d’Hélène et de Ménélas. Paris, musée du Louvre. © RMN Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
Une petite terre cuite originaire de Tarente (vers 300-275 avant J.-C.) représente un acrobate en plein renversement. Cette figure aurait appelé quelques développements ; d’une part parce qu’on la trouve en Egypte et d’autre part parce que c’est dans la même position que fut souvent représentée au Moyen Age Salomé que nous évoquions la semaine dernière au sujet d’Oscar Wilde. La question « Salomé, danse ou jonglerie » mérite d’être posée (cf. Una Voce, n°280, septembre-octobre 2011, p. 20). Les sculpteurs romans et gothiques préférèrent-ils la solution d’une Salomé gymnaste parce qu’ils ne voyaient pas comment exprimer dans la pierre la danse de la jeune fille ? C’est possible. Mais l’un d’eux l’osa et y parvint : un chapiteau du musée des Augustins (Toulouse, vers 1120-1140) aurait montré une Salomé vraiment dansante. Mais ne refaisons pas une exposition qui en elle-même est tout à fait réussie !

Corps en mouvement – La danse au musée. Jusqu’au 3 juillet 2017, musée du Louvre.

Photo à la Une : Hippomène et Atalante, vers 1715-1720. Bronze patiné. Paris, musée du Louvre.
© RMN Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Samuel Martin – Présent

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