Près d’un abarangay, je fis l’inventaire des apprêtées avant de monter au combat. Les armes semblaient être passées par un bleuissoir. Les affûts de canons, tenus par des cabrions, étaient posés dans un champ de bacchines écarlates. Il fallait se préparer à un vrai bacharat ! Comme un vol de drongos hors leur nid natal, comme des drouineurs prêts à tout, nous nous mîmes en marche, sûrs de vaincre à grands coups d’estangues et de fandofles. Sauf si vous avez dans votre bibliothèque un Bescherelle, ce dictionnaire véritable « monument élevé à la gloire de la langue et des lettres françaises », je ne suis pas sûr que vous saisirez tout de ce texte, qui ne posait pourtant aucun problème aux collégiens de la fin du XIXe siècle.
Chaque année, les éditeurs de dictionnaires, qui sont au Bescherelle ce que la CGT est au droit des gens, sont tout fiérots de nous communiquer les nouveaux mots entrés dans leurs nouvelles éditions. Ce qu’ils ne disent pas c’est que, pour accueillir ces mots nouveaux et ces nouveaux noms propres, bien souvent appelés à disparaître aussi vite qu’ils sont apparus, ils ont – au sens fort du terme – supprimé des dizaines d’autres mots. Au motif qu’ils seraient devenus désuets, comme passés de mode. Ce sont ainsi, non pas des centaines, mais des milliers de mots (comme ceux de mon petit texte d’ouverture) qui ont disparu du Petit Larousse et du Petit Robert depuis 1997 (pour ne prendre que cette date en référence). En 1998, le Petit Larousse a exécuté près de 4 500 noms communs et propres.
L’Académie française, que l’on pouvait penser plus vigilante, explique le modus operandi de ces « disparitions » qui relèvent de l’assassinat : « Les termes dont la suppression est envisagée doivent être sortis de l’usage depuis longtemps et n’avoir guère d’attestation littéraire : c’est le cas de certains termes scientifiques ou techniques considérés aujourd’hui comme tout à fait obsolètes. (…) Il serait en effet inenvisageable de supprimer un mot susceptible d’être rencontré lors de la lecture d’un ouvrage de l’esprit, car le Dictionnaire de l’Académie française se doit d’éclairer l’usage présent comme l’usage plus ancien de notre vocabulaire et de permettre ainsi, plus que tout autre dictionnaire, la lecture des œuvres constituant notre patrimoine littéraire. »
Mmouais… Comme le remarque Gilles Terrien, Fondateur du site Orthodidcate.com, « plus ça va, moins on pourra lire nos grands classiques avec les dictionnaires contemporains ». Il y a heureusement parfois des « résurrections » comme le souligne Camille Martinez, chercheur en lexicologie : « Dans la seule période 1997-2012, nous avons relevé 491 mots qui, une fois sortis, ont été réintroduits. Parmi eux, épeurer, sorti en 2000 et réintroduit en 2009, ou encore sémiologue, sorti en 1998, rentré en 2009 ». Avec des étrangetés : surnatalité sorti en 1998, réintroduit en 2008, exécuté en 2012…
D’où l’inquiétude des amoureux des mots, ces chefs-d’œuvre en péril : « On s’emploie avec raison à sauver toutes sortes d’espèces d’oiseaux, d’insectes, d’arbres, de plantes, de grosses et de petites créatures bien vivantes, mais menacées de disparition. Des mots, eux aussi, pour d’autres raisons que la chasse, la pollution et l’argent, meurent… Rares sont les personnes émues par la disparition des mots. Ils sont pourtant plus proches de nous que n’importe quel coléoptère… Et si on travaillait à sauver des mots en péril ? »
Bernard Pivot s’y employa naguère. Il en sauva trois : clampin, génitoires, peccamineux. C’est déjà ça…
Alain Sanders – Présent