Expo – Florence, portraits à la cour des Médicis

Des mots comme « Florence » et « Médicis » sont chargés d’histoire et de prestige plus que d’autres noms de ville et de famille, certainement parce qu’ils appartiennent autant à l’histoire qui se fait et qui se raconte qu’à l’art qui s’est développé dans ce contexte. Le musée Maillol, il y a cinq ans, avait évoqué toute la dynastie, de Cosme l’Ancien à Cosme III (voir Présent du 6 novembre 2010). En centrant son exposition sur le XVIe siècle et sur l’art du portrait, le musée Jacquemart-André donne la parole ou – comme Charles Quint au Titien – tend le pinceau à des peintres italiens extrêmement intéressants.

Le premier d’entre eux, Fra Bartolommeo (1472-1517), peint un très beau profil de Savonarole. Le tableau est austère, d’abord parce que Savonarole était un dominicain, ensuite parce qu’il n’était pas du genre à goûter un autre ton que celui de la rigueur. A la tête de Florence, ce drôle de bonhomme mit au bûcher tout ce qui lui semblait mondain, vaniteux et licencieux, soit quelques chefs-d’œuvre de la peinture italienne du XVe siècle, avant d’y passer lui-même. Cependant le personnage et sa spiritualité méritent plus de considérations que ne le laisse supposer sa tendance iconoclaste, et le cardinal Journet a traduit et commenté le Miserere que Savonarole torturé écrivit en prison, texte qu’il considère comme « l’une des plus pures et des plus émouvantes implorations de la piété chrétienne » (Miserere et Dernières méditations, chez Desclée De Brouwer, 1994 et 1995).

Les autres portraits de l’époque sont marqués eux aussi par l’austérité, vêtements noirs, fonds sobres. Savonarole écarté, les Médicis peineront à reprendre les rênes de Florence. De ce combat politique naîtra toute une iconographie d’hommes en armure, puis, le temps venu du règne, les portraits de cour, les portraits des courtisans et de l’aristocratie lettrée et cultivée, où les accessoires sont des instruments de musique et les ouvrages ouverts de Dante et de Pétrarque.

8443-P7-Bronzino-Portrait-de-dame-en-rougeQuatre talents
Quatre peintres donnent toute leur mesure jusque dans les années 1570 : Andrea Del Sarto, qui est le maître de Salviati et Pontormo, lui-même maître de Bronzino.

Andrea Del Sarto (1486-1531). – Sa Femme en jaune inachevée montre la façon dont le peintre travaillait certaines parties tout en en laissant d’autres à l’état d’ébauche. L’œil n’a pas encore reçu ses lumières ; la moitié gauche du visage, qui est dans l’ombre, n’a qu’une sous-couche sombre mais non bouchée de ton.

Jacopo Pontormo (1494-1557). – Ce peintre fut d’humeur fantasque et solitaire. Son tempérament n’était en rien celui d’un peintre de cour, et Vasari raconte qu’il préféra parfois peindre à bas prix des tableaux pour un maçon de ses amis qu’à prix d’or pour les Médicis. Son talent ne manque pas d’étrangeté, comme lorsqu’il peint le portrait de Maria Salvati (la mère de Cosme Ier), d’un métier presque fantomatique en noir, blanc et brun. Il y a toujours une atmosphère dans ses tableaux, comme le confirme le juvénile portrait d’un joueur de luth. Le talent de Jacopo Pontormo fut jalousé par son maître Andrea Del Sarto, mais Pontormo, tout excentrique qu’il fût, guida son élève Bronzino avec amitié.

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Agnolo Bronzino (1503-1572). – Avec lui s’épanouit le maniérisme florentin, fait de préciosité froide et de coloris raffinés. Le portrait d’Eléonore de Tolède (femme de Cosme Ier) est un parfait exemple de sa manière. Passant des Médicis aux Tudors, je me demande si le très beau portrait de Marie Ire peint par Maître John et reproduit dans Présent du 28 mars dernier n’a pas été inspiré par ce portrait d’Eléonore de Tolède, dans une interprétation plus archaïque ; les dates ne s’y opposent pas, mais les lieux ? Parmi les autres tableaux du Bronzino, on retiendra la Dame en rouge, où les différentes parties manquent de liaison, mais quel portrait, et les impressionnantes figures de poètes : le jeune Lorenzo Lenzi, Laura Battiferri au profil ingrat mais plein de prestance.

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Francesco Salviati (1510-1563). – Dans un registre restreint, Salviati donne quelques portraits remarquables, joueur de luth (le français Jacquet du Pont), Jeune homme à la biche. Parmi tous les portraits en armure, beaucoup de ferrailleries entrent désagréablement dans l’œil du spectateur, mais pas celle que porte Jean des Bandes noires : Salviati a su trouver un bon équilibre de touche entre la chair et le métal.

A-t-on fait le tour ? Oui, mais recommençons, car le portrait de Savonarole demande à être vu de nouveau, et les autres aussi.

 Jusqu’au 25 janvier 2016, musée Jacquemart-André.

Samuel Martin – Présent

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